• François Perl
    François Perl
    conseiller stratégique chez Solidaris (l’auteur s’exprime à titre personnel)

Quelles politiques sociales contre les inégalités ?

Truisme ou litote, nous affrontons une crise systémique d’une ampleur rarement mesurée.

Depuis les dernières élections, nous avons vécu une pandémie mondiale qui a bouleversé nos certitudes sanitaires et a qui a entraîné une crise sociale dont les effets se feront ressentir durablement ; des inondations meurtrières qui ont rappelé à quel point l’avenir de l’humain et de son environnement sont indissociables ; une crise énergétique qui nous enseigne l’urgence de définir d’autres modes d’approvisionnement énergétique, de consommation et de production ; et une guerre aux portes de l’Europe dont nous n’avons évidemment pas fini d’évaluer les conséquences globales.

Cette crise ne vient pas de nulle part. Elle est l’aboutissement d’un cycle de l’histoire, qui a débuté avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, dont nous percevons la fin. Il a construit notre vision de la société autour du lien entre croissance, prospérité, redistribution et bien-être. Ce paradigme rassembleur a également structuré notre État social dont la légitimité repose sur le compromis entre le capital et le travail.

L’enjeu est de déconstruire une vision souvent idéalisée de ce compromis qui repose dans la doxa libérale sur l’idée de la naturalité et de l’historicité du capitalisme. Nous sommes confrontés à une vraie bataille culturelle qui vise le renversement de ce paradigme. L’avenir ne se situe pas dans l’hypothétique destruction du compromis capital/travail mais bien dans son rééquilibrage et dans sa transformation. Politiquement, cette « bataille culturelle » passe par la construction d’un projet qui vise à l’émancipation et à la construction d’une société où la solidarité n’est pas la béquille réparatrice du marché.

(…) L’avenir ne se situe pas dans l’hypothétique destruction du compromis capital/travail mais bien dans son rééquilibrage et dans sa transformation.

La crise que nous vivons s’accompagne de tendances lourdes que nous ne pouvons pas éluder : la financiarisation croissante de l’économie qui entraîne un déséquilibre profond entre la part des revenus des capitaux et ceux du travail au sein de la richesse nationale ; la finitude d’un modèle productiviste qui refuserait d’intégrer la dimension climatique et environnementale ; le développement d’inégalités sociales que l’on continue de très mal mesurer en Belgique et qui sont trop souvent analysées sous l’angle unique des inégalités de revenu ; et la perte de confiance des citoyens dans les capacités de l’État à leur offrir les protections sociales nécessaires à leur bien-être.

Nos systèmes sociaux ont toujours joué un rôle d’amortisseurs de crise, un rôle reconnu par les institutions internationales. Le maintien de l’indexation des salaires et des allocations sociales a permis de maintenir un niveau de revenus suffisant pour une grande partie de la population. La situation de pauvreté monétaire (à savoir le nombre de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté) a même plutôt diminué entre 2022 à 2023, passant de 13,2 % de la population belge à 12,3 % et ce, alors que le montant du seuil de pauvreté, lui, augmentait dans le même temps1.

Ces indicateurs ne doivent cependant pas masquer une réalité importante : même si la part de la population qui vit sous le seuil de pauvreté a tendance à diminuer, lorsqu’on y ajoute celle qui risque d’y basculer, on atteint un taux 18,2%.

Blink Ofanaye– FlickR.com

Les crises imposent de jouer sur les priorités politiques suivantes : une augmentation de tous les minimas sociaux au-dessus du seuil de pauvreté et une individualisation des droits sociaux ; un renforcement des politiques de lutte contre les inégalités de santé (tiers-payant obligatoire, encadrement des suppléments d’honoraires, lutte contre les déserts médicaux,…) ; une garantie d’accès le plus égalitaire possible aux biens communs que sont l’alimentation durable, le logement, l’eau, l’énergie et les transports publics ; une garantie d’emploi qui reste un facteur essentiel d’émancipation sociale ; et un investissement dans la transition climatique.

Ces indicateurs ne doivent cependant pas masquer une réalité importante : même si la part de la population qui vit sous le seuil de pauvreté a tendance à diminuer, lorsqu’on y ajoute celle qui risque d’y basculer, on atteint un taux 18,2%.Les crises imposent de jouer sur les priorités politiques suivantes : une augmentation de tous les minimas sociaux au-dessus du seuil de pauvreté et une individualisation des droits sociaux ; un renforcement des politiques de lutte contre les inégalités de santé (tiers-payant obligatoire, encadrement des suppléments d’honoraires, lutte contre les déserts médicaux,…) ; une garantie d’accès le plus égalitaire possible aux biens communs que sont l’alimentation durable, le logement, l’eau, l’énergie et les transports publics ; une garantie d’emploi qui reste un facteur essentiel d’émancipation sociale ; et un investissement dans la transition climatique.

Des défis immenses à résoudre dans un contexte difficile pour les finances publiques. Avec une évidence, nous ne résoudrons pas ces crises sans augmenter les recettes de l’État par le biais d’une politique fiscale et budgétaire basée sur une meilleure prise en considération des revenus du capital et une diminution de la fiscalité sur les bas revenus


  1. Vers l’enquête

 

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