• Thomas Gillet
    Thomas Gillet
    philosophe et éthicien, maître-assistant à la Haute École de Bruxelles-Brabant et membre du bureau exécutif du Centre d’Action Laïque

2 h de Philosophie et Citoyenneté, une nécessité démocratique !

Depuis la rentrée scolaire 2017–2018, dans l’ensemble des établis­se­ments du primaire et du secon­daire de l’Enseignement offi­ciel, tous les élèves ont obli­ga­toi­re­ment une heure de cours de philo­so­phie et de citoyen­neté. Pour la deuxième heure hebdo­ma­daire, ils ont la possi­bi­lité de choi­sir soit une deuxième heure de philo­so­phie et de citoyen­neté, soit une heure des actuels cours de reli­gion et de morale.


Salut & Frater­nité : Pour­quoi reven­di­quer deux heures de Cours de Philo­so­phie et Citoyen­neté (CPC) pour tous les élèves ?

Thomas Gillet : À mon sens, il convient d’abord de répondre à la ques­tion : pour­quoi le CPC est-il essen­tiel ? Dans une société de plus en plus frac­tion­née, dans une démo­cra­tie fati­guée où nombreux sont les citoyen·nes tentés par les extrêmes et les réponses auto­ri­taires et violentes, dans une société où les simplismes fleu­rissent et où règnent l’immédiateté et l’individualisme, il était grand temps de créer, à l’école et avec tous les élèves, un espace qui permette de penser la société et ses enjeux, de prendre le temps de l’apprentissage, du ques­tion­ne­ment, de la réflexion et de la discus­sion argu­men­tée et contra­dic­toire. Pour donner du sens à la démo­cra­tie et permettre, par le penser ensemble, de vivre ensemble. La compré­hen­sion des fonde­ments de notre système démo­cra­tique, de l’État de droit et des liber­tés fonda­men­tales ainsi que la réflexion ration­nelle et argu­men­tée sur la société que les futures géné­ra­tions veulent construire sont autant d’éléments essen­tiels de la forma­tion des citoyennes et citoyens de demain et c’est à cela que le CPC, comme cours géné­ral et obli­ga­toire, doit contri­buer. Or, s’il est évident que l’ensemble des élèves doit béné­fi­cier de cette forma­tion, il est tout aussi évident que le faire 50 minutes par semaine est impos­sible, voire contre-produc­tif. En plus des condi­tions de travail compli­quées des enseignant·es, il y a un risque de rester à la surface de problé­ma­tiques complexes qui néces­si­te­raient de prendre le temps de les abor­der dans leur profon­deur afin d’éviter de repro­duire les simplismes que le CPC est supposé combattre.

Réflé­chir ensemble, sans distinc­tion philo­so­phique ou reli­gieuse, ouvre la voie à l'apprentissage du débat démo­cra­tique. © Taylor Flowe – Unsplash​.com

S&F : Pour­quoi cette mesure ne passe-t-elle pas, malgré une réso­lu­tion parle­men­taire favo­rable ? Qu’est-ce qui bloque ?

T.G. : Des raisons idéo­lo­giques et des raisons pratiques. Au niveau pratique, ce sont essen­tiel­le­ment des ques­tions liées à l’emploi pour les profes­seurs de reli­gion et de morale dont le cours devien­drait non seule­ment option­nel comme il l’est tech­ni­que­ment aujourd’hui mais supplé­men­taire. Cela pose donc aussi la ques­tion du carac­tère finan­çable de cette réforme. Au niveau idéo­lo­gique, il s’agit avant tout et essen­tiel­le­ment pour certains de préser­ver la place de la reli­gion au sein des écoles, tant publiques que des réseaux subven­tion­nés confes­sion­nels malgré que la situa­tion actuelle soit inte­nable pour les enseignant·es et, par consé­quent, pour les élèves et la qualité de leur forma­tion philo­so­phique et citoyenne.

S&F : Comment se posi­tionnent les diffé­rents partis ?

T.G. : Le PS propose de passer à deux heures obli­ga­toires pour tous les élèves, le MR semble vouloir le statu quo tant il fixe de condi­tions pour le passage à deux heures et Ecolo propose d’élargir le système actuel à tous les réseaux. Le PTB ne se prononce pas dans son programme et les Enga­gés voudraient réin­tro­duire le reli­gieux dans le CPC, non pas unique­ment sous la forme d’une approche critique du fait reli­gieux mais bien sous forme de dialogue inter­con­vic­tion­nel. Ce que Défi, qui propose aussi de passer à deux heures, souhaite aussi. Or trai­ter le reli­gieux, comme fait de société à la fois histo­rique, socio­lo­gique, cultu­rel ou anthro­po­lo­gique, peut et doit se faire au sein du CPC. Mais cela ne se fait pas de manière située : en effet, parler « de la » reli­gion de façon la plus objec­tive et neutre possible a du sens dans le CPC1 mais parler « à partir de la » reli­gion c’est prendre le risque de géné­rer des confron­ta­tions des croyances et de subjec­ti­vi­tés, ce qui serait problématique.

(…) il était grand temps de créer, à l’école et avec tous les élèves, un espace qui permette de penser la société et ses enjeux (…)

S&F : Quelles sont les autres reven­di­ca­tions du CAL en la matière ?

T.G. : En dehors des deux heures obli­ga­toires géné­ra­li­sées pour l’ensemble des élèves tous réseaux confon­dus2 dès le début de l’obligation scolaire que le Centre d'Action Laïque demande d’abaisser à trois ans, il insiste sur la néces­saire forma­tion initiale et conti­nue de qualité pour l’ensemble des enseignant·es. En paral­lèle, il est essen­tiel pour lui que la forma­tion soit aussi asso­ciée à la mise en place d’une véri­table inspec­tion qui permette de contrô­ler que les enseignant·es respectent leurs obli­ga­tions, tant sur le plan péda­go­gique et didac­tique qu’en matière de respect de la neutra­lité et des prin­cipes démo­cra­tiques et de liber­tés fonda­men­tales affé­rents, unique garan­tie d’une forma­tion de qualité pour les géné­ra­tions futures.


  1. On rappelle que dans l’enseignement offi­ciel et offi­ciel subven­tionné, le CPC est un cours géné­ral soumis aux diffé­rents Décrets Neutralité.
  2. Le Centre d'Action Laïque plaide d’ailleurs toujours pour un réseau unique et public d’enseignement.
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