• Julie Castelain
    Julie Castelain
    professeure de philosophie et de citoyenneté

«Vraiment» : un outil au service de la démocratie

Quelle ne fut pas ma surprise, en regar­dant le jour­nal télé­visé de la RTBF du lundi 22 janvier dernier. En effet, j’apprends que le Centre d’Action Laïque a pris l’initiative unique de publier un faux jour­nal afin de sensi­bi­li­ser les citoyens aux dangers de la montée de l’extrême droite.

Aubaine pour la profes­seure de philo­so­phie et de citoyen­neté que je suis ! Dès le lende­main matin à 8 h, je dispose d’un exem­plaire. Le contexte s’y prête. Les élèves de 3e année viennent de termi­ner leur séquence en histoire sur la démo­cra­tie (ouf, ils ont des prére­quis), je commence égale­ment ma leçon sur le même thème et les élec­tions de juin qui approchent à grands pas.

Après lecture et décou­verte de ma synthèse, les digres­sions se multi­plient. Nous nous foca­li­sons, dans un premier temps, sur la poli­tique en Belgique : en me basant sur le baro­mètre concer­nant les inten­tions de vote des Belges, nous consta­tons rapi­de­ment la frac­ture entre le nord et le sud du pays. Nous nous concen­trons ensuite sur les partis poli­tiques en Wallo­nie : c’est l’occasion de distin­guer les pôles de l’hémicycle, d’identifier les valeurs propres à chaque parti et de citer les noms de partis qui s’y appa­rentent. Outillée du tableau inter­ac­tif, je leur montre de courtes vidéos de diffé­rents discours de propa­gande. Le parti d’extrême droite « Chez Nous » n’y échappe pas. Ils réagissent. Je pense qu’ils sont, pour la première fois, confron­tés à un discours d’extrême droite de leur temps… En effet, pour eux, l’extrême droite, « c’est Hitler » comme ils disent. Hitler, c’est aussi du passé et un passé lointain.

Et puis, j’attrape le jour­nal Vrai­ment et je me mets à leur lire les titres : « La contra­cep­tion et l’avortement enfin inter­dits par la Loi » ; « Haro sur les chômeurs profi­teurs ! » ; « Le loge­ment social : une inep­tie éradi­quée » ; « L’eau potable et l’air pur pour les plus méri­tants » ; « Les étran­gers chez eux » ; « Les femmes doivent se consa­crer à leurs missions premières » ; « Ton genre, c’est ton genre ! ».
Je prends un ton en mode de la sugges­tion. Plus je lis et plus ils se décom­posent. Pour la plupart, ils n’en reviennent pas. Ils quit­te­ront d’ailleurs le cours avec le jour­nal en mains et le liront à domi­cile. Pour d’autres (une mino­rité), c’est plus déli­cat. Lorsque j’ai cité les titres abor­dant le sexisme ou l’homophobie, j’ai entendu un gamin me dire : « C’est bien ça, Madame ». Je suis sciée : il ne percute pas. L’auteur de ce propos est issu de l’immigration. Le lende­main, je reviens sur ce qu’il m’a dit : « Tu sais que tu ne seras pas là pour le voir, ce programme ? » Le décou­ra­ge­ment s’installe mais la lutte continue.

Ce type d’outil est extra­or­di­naire mais ne suffit pas face à l’ignorance et l’endoctrinement de certains adoles­cents. À l’heure où des initia­tives comme la publi­ca­tion de ce jour­nal sont mises en place, où les profes­seurs jouent leur rôle d’éveil des consciences, où de multiples outils sont mis à notre dispo­si­tion, où le cinéma nous propose égale­ment des pistes (Green Border ou The Zone of Inter­est), on ne peut pas dire que la sensi­bi­li­sa­tion soit absente. Conti­nuons le combat, l’instruction, la sensi­bi­li­ta­tion, la trans­mis­sion car comme le disait Wins­ton Chur­chill (en l’occurence) : « Un peuple qui ne connaît pas son histoire est condamné à la revivre. »


 

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