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Marco Martiniello,
directeur du Centre d’Étude de l’Ethnicité et des Migrations
Quelle crise, quelles migrations ?
Marco Martiniello est directeur de recherche du FNRS, vice-doyen à la recherche de la faculté des sciences sociales à l’Université de Liège, et directeur du Centre d’Étude de l’Ethnicité et des Migrations. Il nous parle de la crise migratoire européenne.
Salut & Fraternité : La Belgique et l’Europe connaîtraient une « crise des migrants ». Ces migrants, qui sont-ils ?
Marco Martiniello : Lorsqu’on parle de migration aujourd’hui, on a souvent l’image de personnes qui viennent d’au-delà des frontières de l’Union européenne. Or il y a aussi une importante mobilité intra-européenne : de nombreuses personnes qui arrivent en Belgique de l’étranger viennent d’Italie, d’Espagne, de Grèce, du Portugal, de France… Ensuite, bien que les demandeurs d’asile provenant de pays tiers soient nombreux, la Belgique n’est pas en situation d’urgence, comme l’Italie. Chez nous, le nombre de demandeurs d’asile est moins important. Mais les zones de conflits ou d’instabilité politique dans le monde poussent les gens à fuir : beaucoup de demandeurs d’asile viennent de ces zones, de Syrie, de la Turquie d’Erdogan ou de plus loin, comme le Pakistan ou l’Afghanistan.
S&F : Comment et pourquoi ces demandeurs d’asile arrivent-ils en Belgique ?
M.M. : Plus de la moitié d’entre eux n’avaient aucune intention d’arriver dans leur pays d’accueil, selon une étude britannique. Contrairement à des pays comme la Grande-Bretagne, la Belgique n’est pas particulièrement courue, comme destination d’asile. Ces personnes quittent leur foyer parce qu’elles y sont poussées par les circonstances. Elles ont dû partir, mais n’ont pas nécessairement choisi où elles allaient. Les voies officielles leur sont inaccessibles, elles saisissent la première opportunité qui se présente, généralement à un prix astronomique et voyagent souvent de façon clandestine. Parfois, les passeurs les abandonnent simplement à leur sort.
Plus de la moitié d’entre eux n’avaient aucune intention d’arriver dans leur pays d’accueil, selon une étude britannique. Contrairement à des pays comme la Grande-Bretagne, la Belgique n’est pas particulièrement courue, comme destination d’asile.
S&F : C’est très différent de cette idée reçue que la Belgique serait trop accueillante, que tout le monde voudrait venir chez nous…
M.M. : Tout à fait. Les mouvements migratoires se développent partout sur la planète et l’Europe est loin d’être l’Eldorado rêvé pour tous les migrants et les exilés. La majorité des flux migratoires dans le monde se font de pays du Sud à pays du Sud. Les demandeurs d’asile ne viennent pas pour profiter de notre système de sécurité sociale : ils quittent un pays où leur vie devient impossible. Cette image de la Belgique comme pays de cocagne que propagent certains courants politiques n’a pas de sens. Vous imaginez quelqu’un d’Afrique subsaharienne risquer sa vie en se disant « je vais accomplir mon rêve : vivre du CPAS à Marchienne-au-Pont » ? Cela ne correspond pas à la réalité.
S&F : Sommes-nous réellement dans une crise migratoire, ou l’expression est-elle alarmiste ?
M.M. : La Belgique est dans une situation délicate, mais pas inédite. Elle a connu d’autres mouvements importants de demandeurs d’asile : pensez aux réfugiés de l’ex-Yougoslavie durant les conflits des années 90. Chaque grande crise humanitaire ou politique provoque des mouvements de population. Pour moi nous ne vivons pas une crise migratoire : la migration humaine est un phénomène perpétuel. Ce que l’on vit, c’est une crise de l’accueil. Pourquoi l’Europe est-elle incapable d’accueillir décemment plus de demandeurs d’asile ? De trouver des solutions aux sources de ces crises humanitaires ou politiques ? Aux conditions qui poussent les gens à quitter leur foyer ? Derrière ces questions se trouvent des problèmes gigantesques à résoudre. La Belgique est moins directement touchée, de par sa position géographique, mais elle est tout autant concernée. L’immigration ne touche pas seulement un pays de départ et un pays d’arrivée. Ici, nous sommes face à des mouvements migratoires globaux : le niveau national est trop faible, trop petit pour gérer ces questions-là. Mais l’Europe semble manquer de solidarité entre ses États membres. Certains pays d’Europe centrale regardent ailleurs et bâtissent des murs, au propre comme au figuré, le long de leurs frontières, ce qui est l’antithèse du projet européen. Or, malgré notre secrétaire d’État aux migrations, la Belgique remplit quand même plus ses obligations européennes que la Hongrie, la Pologne ou la Slovaquie.
Pour moi nous ne vivons pas une crise migratoire : la migration humaine est un phénomène perpétuel. Ce que l’on vit, c’est une crise de l’accueil.
S&F : Quel futur, quelles issues voyez-vous à la situation actuelle ?
M.M. : La pire issue serait que cette attitude de repli se généralise : que l’Europe devienne un ensemble d’enclaves fermées sur elles-mêmes, où les étrangers n’ont pas de droits. Cela ne résoudrait absolument rien : les flux migratoires continueraient, ils sont inévitables, mais ils se feraient dans la répression et la misère, pour les migrants comme pour les citoyens locaux. La solution serait que la Belgique, avec les partenaires de l’Union européenne, trouve une approche collective de la migration et de l’asile, basée sur la solidarité humaine. Seule, la Belgique est trop petite pour faire face.
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