• Catherine Wihtol de Wenden
    Catherine Wihtol de Wenden
    directrice de recherches au CNRS, CERI-Sciences-Po

Flux migratoires et vie urbaine : quel impact ?

Les migra­tions inter­na­tio­nales se traduisent souvent par une urba­ni­sa­tion galo­pante de la planète. Ainsi, le conti­nent afri­cain sera passé en un siècle, à l’horizon 2050, de 70 % de ruraux à 70 % d’urbains et les villes les plus peuplées du monde dépas­sant les 10 millions d’habitants sont souvent cosmo­po­lites car gros­sies par les migra­tions internes. Les grandes villes des pays du Sud, sont souvent deve­nues aussi des sas pour les migrants en tran­sit, internes et inter­na­tio­naux comme au Maroc, au Mexique ou en Turquie. 

Certains se sont instal­lés dans la mobi­lité comme mode de vie pour y vendre leurs produits, parfois à la clien­tèle urbaine migrante ou à une popu­la­tion cosmo­po­lite ou aux touristes. Des marchands ambu­lants ou semi-instal­lés ont ainsi investi des quar­tiers de chalan­dise à Laleli, un quar­tier d’Istanbul, à Mexico ou à Rabat, modi­fiant la physio­no­mie de ces villes par leur carac­tère inter­na­tio­nal mais aussi informel.

Les migrants changent aussi le contenu de la citoyen­neté urbaine, qui affiche des valeurs nouvelles, faites d’un brico­lage des modes de vie et d’expression : beau­coup de formes d’expression artis­tiques (théâtre, musique, arts plas­tiques) sont le fruit de ces métis­sages qui enri­chissent aussi la vie associative.

L’affichage de la mixité ethnique et sociale appor­tée par les migrants dans les quar­tiers urbains carac­té­rise aussi les villes « globales » comme Paris, New York, Londres, pôles de déci­sion mondiaux poli­tiques, écono­miques, finan­ciers et cultu­rels, qui sont aussi des villes métis­sées où les migrants inter­na­tio­naux sont deve­nus visibles à la fois dans les centres urbains et en péri­phé­rie. La banlieue, toujours popu­laire, est marquée aujourd’hui par la diver­sité des origines des natio­naux comme des nouveaux venus.

Les migrants changent aussi le contenu de la citoyen­neté urbaine, qui affiche des valeurs nouvelles, faites d’un brico­lage des modes de vie et d’expression : beau­coup de formes d’expression artis­tiques (théâtre, musique, arts plas­tiques) sont le fruit de ces métis­sages qui enri­chissent aussi la vie asso­cia­tive. Dans le passé, Mont­par­nasse a ainsi été le lieu des peintres de l’École de Paris, origi­naires d’Europe de l’Est et du Sud dans les années 1920 et 1930, des écri­vains améri­cains, le Marais a été celui de la confec­tion du fait de la présence de juifs d’Europe de l’Est, Issy les Mouli­neaux celui de la créa­tion et de la produc­tion vesti­men­taire des Armé­niens. Aujourd’hui, la diver­sité, le cosmo­po­li­tisme, la lutte contre les discri­mi­na­tions font partie des valeurs de la citoyen­neté urbaine appor­tée par les migra­tions. Des entre­prises s’y établissent, comme en Seine-Saint-Denis, profi­tant des oppor­tu­ni­tés créées par des impôts locaux faibles ou fran­chi­sés. L’entrepreneuriat « ethnique » y est actif.

Dans les grandes métro­poles, la diver­sité, le cosmo­po­li­tisme, la lutte contre les discri­mi­na­tions font partie des valeurs de la citoyen­neté urbaine appor­tée par les migra­tions. CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Amartvste

Enfin l’Islam devient une compo­sante visible en milieu urbain. Parmi les mosquées dites « cathé­drales » par leur taille et leur capa­cité à accueillir des natio­naux et des migrants d’origines cultu­relles diverses, seules les grandes villes en sont dotées. Ainsi, en France, Paris, Lyon, Lille, Marseille, Stras­bourg, Toulouse sont capables d’offrir des espaces reli­gieux suffi­sants pour les fidèles qui veulent éviter les lieux de cultes confi­nés qui comportent le risque d’abriter des groupes à tendance sectaire. En France aussi, plusieurs grandes villes ont vu s’afficher des temples boud­dhistes, des églises russes restau­rées ou construites récem­ment, témoi­gnant de l’élargissement de l’offre spiri­tuelle et reli­gieuse à la mesure de la diver­sité des popu­la­tions. Certains commerces sont liés à ces chan­ge­ments, comme, dans les quar­tiers popu­laires de Paris ou de Marseille, le déve­lop­pe­ment depuis vingt ans de librai­ries musul­manes, de carrés musul­mans dans les cime­tières, de maga­sins de prêt-à-porter musul­man, de bouche­ries hallal. Les modes vesti­men­taires changent aussi avec saris indiens et boubous afri­cains. Enfin, les migrants rajeu­nissent les popu­la­tions urbaines des centres villes, du fait qu’ils circulent plus souvent que celles-ci dans les centres urbains où ils n’habitent pas car ils y travaillent, s’y retrouvent entre compa­triotes ou y trouvent restau­rants et boutiques « ethniques », cafés, asso­cia­tions, moins présents dans les péri­phé­ries urbaines où ils résident. Ils attirent aussi une popu­la­tion d’autochtones en quête d’exotisme. Ils changent ainsi la ville, tant dans ses contours, sa physio­no­mie que dans ses manières d’être citoyen urbain.

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