• Didier Van der Meeren
    Didier Van der Meeren
    administrateur-délégué du Monde des Possibles
Propos recueillis par Joëlle Mammo Zagarella

Le monde des possibles, entre formation et valorisation des compétences

Fédérée au Centre d’Action Laïque de la Province de Liège, l’asbl Le Monde des Possibles est une association qui a notamment pour but d’accueillir les personnes primo-arrivantes et d’œuvrer au respect de leurs droits, de donner à toute personne en situation d’exil un accompagnement social, de sensibiliser l’opinion publique à l’accueil des étrangers et de combattre toutes formes de racisme et de discrimination.

Leur travail relève à la fois de l’éducation permanente et des initiatives locales d’intégration. Ses actions peuvent avoir une dimension très locale ou, via d’autres projets, une dimension plus internationale.

Depuis 2001 l’asbl Le Monde des Possibles accueille toute l’année des personnes primo-arrivantes désireuses de se former au français langue étrangère (FLE) et aux nouvelles technologies. Ces deux activités principales structurent leurs actions et la fréquentation avoisine les 200 personnes par semaine – en additionnant les personnes qui sont dans une série d’autres projets qui gravitent autour de ces cours – 69 nationalités et 410 langues s’y rencontrent !

Les personnes en question ont des besoins diversifiés en fonction de leur statut (demandeurs d’asile, sans-papiers, réfugiés, sans-abri, sans-emploi, etc.).

C’est pourquoi l’association a mis en place une permanence juridique tous les mercredis avec l’expertise du MRAX et du CEPAG, qui travaillent sur la diversité des réponses à apporter à la diversité des besoins.

L’association crée, par ailleurs, des binômes migrant/citoyen axés sur la recherche d’emploi ou l’apprentissage du français.


Entretien avec

Didier Van der Meeren

Les migrations sont une richesse !

Salut & Frater­nité : Quel est votre regard sur la situa­tion actuelle des migrants ?

Didier Van der Meeren : Nous sommes dans une période extrê­me­ment diffi­cile sur le champ migra­toire. Au niveau poli­tique, les migra­tions sont instru­men­ta­li­sées avant tout pour disqua­li­fier les migrants, pour oppo­ser ceux-ci aux natio­naux. C’est rare­ment une recon­nais­sance des migrants en tant que richesse cultu­relle ou en termes de savoir-faire !

Nous rece­vons avant tout des demandes indi­vi­duelles. Notre objec­tif est dès lors de les récol­ter et de consti­tuer un rapport de force au niveau syndi­cal notam­ment pour que les ques­tions migra­toires et les droits fonda­men­taux soient à l’ordre du jour du politique.

Parmi les jeunes Syriens arri­vés il y a trois ou quatre ans, beau­coup sont instruits et ont béné­fi­cié du système éduca­tif syrien. Aujourd’hui, ils ont trouvé un travail en Belgique, notre pays profi­tant ainsi de l’investissement éduca­tif réalisé dans le leur.

Parmi les jeunes Syriens arri­vés il y a trois ou quatre ans, beau­coup sont instruits et ont béné­fi­cié du système éduca­tif syrien. Aujourd’hui, ils ont trouvé un travail en Belgique, notre pays profi­tant ainsi de l’investissement éduca­tif réalisé dans le leur. D’autres personnes – la grande majo­rité – n’ont pas eu cette oppor­tu­nité et ont d’énormes diffi­cul­tés à pouvoir valo­ri­ser des compé­tences. En fait, l’écart entre les situa­tions est abyssal.

S&F : Dans ce contexte diffi­cile, comment répon­dez-vous aux besoins des migrants ?

D.VdM. : Notre travail est d’accompagner et de donner un coup de main – à la hauteur de nos moyens – à une occu­pa­tion comme celle de Buren­ville où les sans-papiers ont décidé de dire non à la poli­tique d’asile extrê­me­ment restric­tive. 86 % des demandes d’asile sont refu­sées, environ150 000 personnes sont sans-papiers en Belgique ! Pour « survivre », elles travaillent dans des secteurs profes­sion­nels où la main d’œuvre ne peut être délo­ca­li­sée (ramas­sage de fruits sur les hauteurs de Liège…) ; cette main‑d’œuvre corvéable à merci, sans contrat, ni couver­ture sociale.

Notre travail, avec la FGTB notam­ment, est de leur expli­quer ce qu’est un syndi­cat et de voir comment ils peuvent exis­ter dans cette struc­ture, y déve­lop­per une repré­sen­ta­ti­vité, une connais­sance juridique.

Parce que dans leur pays, parfois, le syndi­cat est un bras armé du pouvoir.

La diffi­culté dans l’histoire des sans-papiers, c’est qu’il y a peu de capi­ta­li­sa­tion des savoirs. Chacun recom­mence indi­vi­duel­le­ment ! Dès qu’ils sont régu­la­ri­sés, ils se lancent dans leur vie. Il n’existe pas une « struc­ture » de capi­ta­li­sa­tion des savoirs et des pratiques de lutte des sans-papiers. Et c’est quelque chose qui manque terriblement !

Il existe des struc­tures bien sûr comme « La voix des sans-papiers » à Buren­ville, mais ce sont en géné­ral des orga­ni­sa­tions infor­melles qui vivent le temps d’une lutte. Une fois qu’il y a régu­la­ri­sa­tion ou que la répres­sion est suffi­sam­ment forte pour dissi­per le regrou­pe­ment, la struc­ture disparait.

Au Monde des Possibles, nous leur propo­sons de suivre les cours de Fran­çais Langue Étran­gère (FLE) et de citoyen­neté, de parti­ci­per aux actions, aux projets en fonc­tion de leurs disponibilités.

Les sans-papiers, c’est une des réali­tés de notre asso­cia­tion ; les autres étant les deman­deurs d’asile ou les personnes recon­nues réfugiées.

Au Monde des Possibles, nous leur propo­sons de suivre les cours de Fran­çais Langue Étran­gère (FLE) et de citoyen­neté, de parti­ci­per aux actions, aux projets en fonc­tion de leurs disponibilités.

S&F : Quels sont vos projets ?

D.VdM. : Nous réflé­chis­sons à un modèle écono­mique viable à plus long terme : une coopé­ra­tive s’appuyant et valo­ri­sant les compé­tences des migrants.

Ainsi notre projet UNIVERBAL, basé sur les talents linguis­tiques des femmes migrantes, propose un service d’interprétariat social, aujourd’hui très solli­cité tant par le CHR, le CHU, la Ville de Liège que le CPAS. Passer en coopé­ra­tive permet­trait à ces inter­prètes, une ving­taine, d’être rému­né­rées correc­te­ment et de payer des lois sociales (elles sont actuel­le­ment payées via des contrats de béné­voles avec un plafond de 1 308 € par an). Nous pensons aussi à un nouveau projet, SIRIUS, qui vise à travailler les compé­tences en programmation.

L’avenir du Monde des Possibles est peut-être là ! Un passage en coopé­ra­tive qui tout en conti­nuant nos forma­tions de FLE, permet­trait d’aller plus loin et d’éviter les discri­mi­na­tions à l’embauche dont les migrants font souvent l’objet.

Un tel proces­sus doit être porté et cogéré par les prin­ci­paux inté­res­sés. Il implique de se former à ce qu’est une coopé­ra­tive, son histoire. Il s’agit aussi de partir de leur exper­tise, de leurs savoirs et pratiques. Et les choses se mettent en place ! Nous avons envie de les penser large, d’intégrer d’autres savoir-faire manuels qui pour­raient être valorisables.


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