• Benoît Van der Meerschen
    Benoît Van der Meerschen
    secrétaire général adjoint du Centre d’Action Laïque
Propos recueillis par Arnaud Leblanc

Penser la liberté de circulation avec l’humain au cœur de la réflexion

Benoît Van der Meer­schen est secré­taire géné­ral adjoint du Centre d’Action Laïque. Il connaît parti­cu­liè­re­ment la ques­tion de la liberté de circu­la­tion qui a occupé sa vie profes­sion­nelle et asso­cia­tive depuis plus de 25 ans. Il nous livre les débats et les posi­tions qui animent le mouve­ment laïque et l’enjeu de l’actuelle campagne autour de la liberté de circulation.

Salut & Frater­nité : Pour­quoi le mouve­ment laïque se penche-t-il aujourd’hui sur la ques­tion de la liberté de circu­la­tion ?

Benoît Van der Meer­schen : Sur la ques­tion migra­toire, nous sommes aujourd’hui dans une impasse. Avec, pour ceux qui ne s’en contentent pas, le senti­ment de vivre dans une société bloquée entre impuis­sance et volonté d’agir. Le mouve­ment laïque souhaite encou­ra­ger le poli­tique et les citoyens à sortir de la simpli­cité, des postures émotion­nelles et des réflexes de peur. La ques­tion est pour­tant profon­dé­ment humaine. Elle nous impose de penser en termes de soli­da­ri­tés mais aussi de raison­ner sur des données objec­tives, d’engager une discus­sion ration­nelle et de réflé­chir sur base du respect des droits fonda­men­taux. Il est indis­pen­sable d’accompagner et d’encadrer le phéno­mène migra­toire en partant de l’idée que les migra­tions d’hommes et de femmes ont toujours existé et qu’elles exis­te­ront toujours.

Les laïques souhaitent d’abord voir des êtres humains auto­nomes, libres de leurs choix et de leur destin. Si nous luttons contre des iden­ti­tés assi­gnées et voyons tout un chacun toujours en chemin, il est logique de lutter contre des terri­toires assignés.

Parmi les valeurs piliers de la laïcité en Belgique figurent les notions de liberté et d’égalité. Les laïques souhaitent d’abord voir des êtres humains auto­nomes, libres de leurs choix et de leur destin. Si nous luttons contre des iden­ti­tés assi­gnées et voyons tout un chacun toujours en chemin, il est logique de lutter contre des terri­toires assi­gnés. Ensuite, un monde où neuf dixièmes de la popu­la­tion mondiale naît sans pers­pec­tive d’avenir alors que le dernier dixième se replie sur lui-même pour main­te­nir ses privi­lèges pose évidem­ment ques­tion. Aujourd’hui, tout circule : les biens, les services, les capi­taux, etc. Tout, sauf une partie des êtres humains. Est-il normal que nous ayons la chance, en Belgique, de pouvoir dispo­ser d’un passe­port et d’un ticket d’avion très faci­le­ment alors que la majo­rité de la popu­la­tion mondiale se voit refu­ser ce droit ? Le lieu de nais­sance devrait-il à ce point déter­mi­ner la vie des personnes ?

Les images de réfu­giés bloqués aux fron­tières au sein de l’Union euro­péenne ne surprennent plus personne aujourd’hui. CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Martin Leveneur

S&F : Quelle posi­tion le mouve­ment laïque défend-il aujourd’hui ?

B.VdM. : Le premier réflexe du mouve­ment a été de ne pas rester inac­tif face à l’énorme détresse humaine impo­sée à celles et ceux qui fuient leur pays d’origine. Face à l’urgence, de nombreuses régio­nales et asso­cia­tions laïques ont mis sur pied des actions de soutien. Certaines l’ont fait en accueillant des réfu­giés dans leurs locaux, d’autres ont orga­nisé des récoltes de vête­ments et de maté­riel. Ces réponses étaient néces­saires, mais force est de consta­ter que la situa­tion attend une réponse struc­tu­relle plutôt qu’exceptionnelle. Nous pouvons nous réjouir de l’engagement de  nombreux citoyens qui font preuve de soli­da­rité et d’accueil, mais nous sommes en droit d’attendre une réponse des pouvoirs publics.

La gestion, voire la non-gestion, de nos pays en ce qui concerne la ques­tion des flux migra­toires est, à l’analyse, catas­tro­phique. Le manque de réalisme pousse certains à penser qu’il est possible d’endiguer ces flux exclu­si­ve­ment avec des mesures admi­nis­tra­tives et poli­cières. Depuis des décen­nies, ces poli­tiques coûteuses se vouent à l’échec. Elles sont contre-produc­tives et meur­trières tant elles nour­rissent les passeurs et mettent en danger les candi­dats à l’exil. Surtout, elles sont fonda­men­ta­le­ment hypo­crites : malgré tous les moyens maté­riels et humains, personne ne maîtrise le phéno­mène migra­toire. Toutes ces gesti­cu­la­tions se limitent à des effets d’annonce. Si ces mesures étaient effi­caces, cela se saurait.

Nous devons sortir le migrant de cette figure domi­nante qui le voit comme un profi­teur, un suspect, une ressource écono­mique ou un crimi­nel. Nous devons le voir comme une personne humaine, avec des aspi­ra­tions propres et surtout avec des droits.

Le mouve­ment laïque souhaite dès lors susci­ter le courage de comprendre ce que nous savons et d’en tirer les conclu­sions. Il est impor­tant aujourd’hui de chan­ger de para­digme de façon à permettre à nos socié­tés de propo­ser des réponses humaines et adéquates à ces ques­tions. Je pense que nous avons un devoir moral. Nous devons sortir le migrant de cette figure domi­nante qui le voit comme un profi­teur, un suspect, une ressource écono­mique ou un crimi­nel. Nous devons le voir comme une personne humaine, avec des aspi­ra­tions propres et surtout avec des droits. La laïcité a donc un rôle de pion­nière à jouer. Elle doit être un véri­table labo­ra­toire d’idées et elle doit propo­ser plutôt que suivre. Il faut mettre les idées, surtout les précon­çues, en débat, entendre les critiques, les anti­ci­per et leur appor­ter des réponses. Et soyons réalistes : la ques­tion migra­toire sera LE sujet des prochaines élec­tions euro­péennes de 2019 ! Le mouve­ment laïque ne souhaite pas que le seul discours que nous allons entendre soit celui d’une Europe fermée sur elle-même. Il souhaite être présent et appuyer un projet profon­dé­ment humain.

Un peu de vocabulaire…

Les mots ont du sens et quand on parle de liberté de circu­la­tion, de nombreux mots sont employés alors qu’ils ne dési­gnent pas les mêmes réalités.

Un réfu­gié : selon la Conven­tion de Genève des Nations Unies rela­tive au statut des réfu­giés (1951), un réfu­gié est une personne qui a quitté son pays d’origine parce qu’elle craint pour sa vie ou sa sécu­rité person­nelle, du fait de persé­cu­tions liées à ses origines ethniques, sa reli­gion, sa natio­na­lité, son appar­te­nance à un groupe social déter­miné ou ses opinions politiques.

Un migrant : toute personne qui, pour quelque raison que ce soit, a quitté son pays d’origine.

Un deman­deur d’asile : candi­dat au statut de réfu­gié. Migrant qui demande à obte­nir le statut de réfu­gié dans un pays autre que le sien. Tant que l’enquête rela­tive à sa demande est en cours, la personne conserve le statut de deman­deur d’asile.

Un clan­des­tin ou « sans-papiers » : désigne les migrants qui n’ont pas de permis de séjour dans le pays où ils résident. Ils n’ont donc pas de statut légal.

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