- Hervé Persain,
Président f.f. du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège
Le mot du président
La culture en général et l’art en particulier font l’objet de tensions à différents niveaux. L’une d’entre elles relève de cette distinction que l’on doit à Marcel Hicter, qui dirigea l’Administration des arts, des lettres et de l’éducation populaire de 1958 à 1963. Il a décrit cette tension toujours évoquée au sein même du nouveau décret de 2013 relatif aux Centres culturels : celle qui différencie d’une part l’action de démocratisation de la culture, fondée sur un processus de transmission au plus grand nombre et sur le droit d’accès de chacun à la culture, et d’autre part la démocratie culturelle, privilégiant l’expérimentation des outils d’expression, individuellement ou collectivement, selon une démarche créative et citoyenne. Un autre axe de définition de l’espace artistique et culturel permet de situer les démarches artistiques entre la capacité critique développée par les citoyens qui s’approprient les outils d’analyse de leur environnement, et la capacité de reliance des populations, en identifiant ce qui fait sens au sein de leur communauté. Ce distinguo est traversé d’enjeux politiques, et génère des choix stratégiques aux valeurs contradictoires…
Selon la position occupée dans le circuit culturel (programmateur, animateur…), on privilégiera les arts classiques ou les arts contemporains ; la contemplation assistée d’une œuvre ou le passage à l’acte du spectateur ; l’appel à des artistes régionaux ou nationaux, ou bien la présentation d’expressions artistiques du monde ; une démarche artistique subversive ou une vision plus conventionnelle respectant les codes académiques… L’œuvre de l’artiste se situera entre une volonté de reproduire ce qu’il voit (figuratif) ou d’interpréter la réalité imprégnée de sa subjectivité (abstrait). L’art constitue un enjeu réel entre le pouvoir et le citoyen : permettra-t-il à celui-ci d’exprimer son point de vue critique, ses désaccords éventuels ou aura-t-il pour fonction de maîtriser sa pensée, constituant alors un outil d’instrumentalisation du peuple telle que la propagande a permis et permet encore de le façonner ?
La laïcité privilégiant la liberté de pensée et d’expression oriente sans ambiguïté notre rapport à l’art vers une conception d’ouverture à la différence, de prise de parole citoyenne et d’analyse critique de notre société. Nous nous élevons contre la censure, les interdits sous le prétexte du blasphème, l’instrumentalisation des outils artistiques aux fins d’imposer une pensée unique… C’est pourquoi nos actions sont imprégnées de l’esprit de l’éducation permanente, et que pour nous la démocratie culturelle prend clairement le dessus sur la fonction de démocratisation de la culture, sans nier cependant l’intérêt de celle-ci.
- Voir le Cahier « Piloter un centre culturel aujourd’hui », Christian Boucq – Majo Hansotte, DG Culture, Fédération Wallonie Bruxelles 2014.