• Cécile Vanderpelen
    Cécile Vanderpelen
    historienne et membre du Centre Interdisciplinaire de Recherche d’Études des Religions et de la Laïcité (CIERL) de l’ULB
Propos recueillis par Charlotte Collot

Art et religion : des rapports complexes

Cécile Vander­pe­len est histo­rienne et membre du Centre Inter­dis­ci­pli­naire de Recherche d’Études des Reli­gions et de la Laïcité (CIERL) de l’Université Libre de Bruxelles. En 2009, elle a co-signé un essai, Art et Reli­gion, qui passe à la loupe les rapports qu’ils entretiennent.

Salut & Frater­nité : Quelles rela­tions entre­tiennent l’art et la reli­gion aujourd’hui ?

Cécile Vander­pe­len : L’art et la reli­gion entre­tiennent des rapports complexes parce qu’ils ont des objec­tifs, des modes de fonc­tion­ne­ment et des raisons d’être forts diffé­rents. La reli­gion a une auto­rité et un objec­tif : le prosé­ly­tisme, à savoir la diffu­sion la plus large possible de sa doctrine. L’art, en revanche, n’a pas d’autorité défi­nie, sinon le juge­ment de ses pairs, ni forcé­ment le but de se diffu­ser large­ment. Il n’a pas non plus de dessein idéo­lo­gique spéci­fique, sinon les convic­tions propres à chaque artiste.

De tous temps des artistes ont soutenu la reli­gion alors que d’autres l’ont contes­tée. Aujourd’hui, le clash entre reli­gion et art est plus impor­tant, tout simple­ment parce que la société occi­den­tale s’est sécu­la­ri­sée, et donc l’art aussi, d’une certaine manière.

L’art et la reli­gion ont toujours eu des rapports diffi­ciles. Sauf, peut-être, dans des formes d’art plus archaïques, où les insti­tu­tions n’étaient pas clai­re­ment défi­nies. La reli­gion était telle­ment mêlée à la vie qu’il n’y avait pas de diffé­rence entre reli­gion et « non-reli­gion ». Depuis les Temps Modernes, les rela­tions peuvent être compli­quées parce que ce sont des insti­tu­tions distinctes. Durant le siècle des Lumières, par exemple, les artistes sont parmi les premiers à avoir remis en ques­tion l’hégémonie reli­gieuse sur la société.

De tous temps des artistes ont soutenu la reli­gion alors que d’autres l’ont contes­tée. Aujourd’hui, le clash entre reli­gion et art est plus impor­tant, tout simple­ment parce que la société occi­den­tale s’est sécu­la­ri­sée, et donc l’art aussi, d’une certaine manière.

Avant les Temps Modernes, les plus grands artistes avaient pour sujet des scènes reli­gieuses. Ici, une œuvre de Michel-Ange,
La créa­tion d’Adam, peinte sur le plafond de la Chapelle Sixtine au Vati­can. Créa­tion d'Adam – Domaine public

S&F : Quelles étaient les conclu­sions de l’essai « Art et religion » ?

C.V. : Nous y avons examiné comment la rela­tion entre art et reli­gion s’est construite à travers l’Histoire. Nous nous sommes notam­ment inter­ro­gés sur la manière dont certaines disci­plines artis­tiques sont plus ou moins perméables à la reli­gion, à la contes­ta­tion, au prosé­ly­tisme, etc. Le prin­ci­pal constat réside dans cet aspect conflic­tuel pour les raisons insti­tu­tion­nelles évoquées précé­dem­ment. Nous ne pouvons cepen­dant pas énumé­rer de règles claires et géné­rales sur leurs rela­tions : elles varient toujours en fonc­tion du lieu, de l’époque, du contexte et de la reli­gion elle-même. Par exemple, lorsque la reli­gion domine poli­ti­que­ment, son objec­tif est de cade­nas­ser, de tout contrô­ler, dont l’art. C’est de faire de la loi une  loi reli­gieuse. Dans ce cas, la récep­tion des œuvres d’art dépend donc de la reli­gion au pouvoir.

S&F : Comment la reli­gion peut-elle se servir de l’art, et inversement ?

C.V. : La reli­gion est prise entre deux logiques très diffé­rentes. Il y a une logique qui veut tout cade­nas­ser : la croyance, la doctrine, les valeurs et l’art égale­ment. Mais elle peut aussi avoir besoin de l’art car il est un moyen extra­or­di­naire de servir le prosé­ly­tisme. L’art peut égale­ment dire l’indicible et donc expri­mer ce que la reli­gion a du mal à dire.

Il y a une logique qui veut tout cade­nas­ser : la croyance, la doctrine, les valeurs et l’art égale­ment. Mais elle peut aussi avoir besoin de l’art car il est un moyen extra­or­di­naire de servir le prosélytisme.

L’art, quant à lui, peut se servir des insti­tu­tions reli­gieuses pour faire passer sa produc­tion. En effet, les cultes sont dotés d’une pléthore de moyens pour diffu­ser leur parole et leur message. Le mécé­nat reli­gieux peut égale­ment être utile : il peut être inté­res­sant pour un artiste de se faire porte-parole des grandes ques­tions humaines, spiri­tuelles et philo­so­phiques. Mais il y a un prix à payer pour ceux qui choi­sissent d’être à la solde d’une reli­gion. Si l’artiste choi­sit d’être « trop » catho­lique, « trop » dogma­tique, il va perdre tout crédit aux yeux du monde de l’art. Il sera en effet perçu comme celui qui n’est pas libre. Or, dans nos socié­tés modernes et contem­po­raines, la liberté est une des valeurs phares du monde des arts.

S&F : Que dire des artistes contes­ta­taires, antireligieux ?

C.P. : Faire le procès de la reli­gion catho­lique est un leit­mo­tiv du monde artis­tique. La reli­gion, lorsqu’elle est insti­tu­tion­nelle, repré­sente le contraire même de ce que doit être un artiste : libre. Les tensions entre reli­gion et art viennent en partie du fait qu’ils ne conçoivent pas la liberté de la même manière. Mais tout dépend toujours de la place de la reli­gion dans la société.

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