• Roger Burton
    Roger Burton
    spécialiste du champ culturel et du statut de l’artiste
Propos recueillis par Arnaud Leblanc

À la recherche du pouvoir de créer

Roger Burton a une longue expé­rience dans le champ cultu­rel et dans le domaine du statut de l’artiste. Il travaille actuel­le­ment pour SMart1 où il a parti­cu­liè­re­ment suivi la réforme du statut de l’artiste et des règles du chômage qui leur sont appli­quées. Il nous éclaire sur la situa­tion écono­mique des métiers artis­tiques et dans le champ de la création.

Salut & Frater­nité : Quel est le statut de l’art dans notre société marchande ?

Roger Burton : Pour de nombreuses personnes, et selon plusieurs études sérieuses, le secteur de la créa­tion est un secteur à part entière qui contri­bue large­ment au Produit Inté­rieur Brut (PIB) d’un pays. Les œuvres d’art plas­tique, les créa­tions théâ­trales ou encore les longs métrages s’inscrivent dans le marché. L’industrie du droit d’auteur (31 milliards de chiffre d’affaire en Belgique) a une dimen­sion clai­re­ment marchande. Ce mode de rému­né­ra­tion, propor­tion­nel au chiffre d’affaire de la vente ou à l’exploitation d’un produit, est direc­te­ment lié au succès commer­cial d’une œuvre ou d’un auteur. Mais ce n’est qu’une part de la créa­tion artis­tique. Le finan­ce­ment public a un rôle impor­tant : en dépendent parti­cu­liè­re­ment les œuvres théâ­trales ou la danse.

CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Chris Schoenbohm

S&F : L’objectif de l’art a‑t-il toujours été consi­déré à ce point sous le prisme du marché ?

R.B. : Je ne pense pas qu’il y ait de chan­ge­ments, si ce n’est l’échelle. En regard de l’histoire de l’art, notam­ment des arts plas­tiques, il existe un lien fort entre les artistes et les mécènes. Très tôt, les banquiers véni­tiens ont compris tout le parti qu’ils pouvaient trou­ver à asso­cier leur entre­prise à un peintre. Les contrats de l’époque étaient d’ailleurs très précis à ce sujet. Ils incluaient des  tari­fi­ca­tions en fonc­tion de la super­fi­cie, du sujet, de l’importance de l’atelier et de la noto­riété de l’auteur. Il y a donc toujours eu des rela­tions rela­ti­ve­ment complexes entre le monde de l’argent et le milieu artistique.

Il devient de plus en plus ardu, pour un artiste, d’échapper à cette marchan­di­sa­tion ainsi qu’aux dispo­si­tifs mis en place pour moné­ti­ser la créa­tion. S’il ne s’inscrit pas dans le diver­tis­se­ment, dans des opéra­tions de pres­tige au niveau terri­to­rial ou simple­ment dans une dyna­mique de consom­ma­tion, il a de grandes diffi­cul­tés à être financé pour son acte de création.

Aujourd’hui, la situa­tion n’a fait que prendre de l’importance. Il devient de plus en plus ardu, pour un artiste, d’échapper à cette marchan­di­sa­tion ainsi qu’aux dispo­si­tifs mis en place pour moné­ti­ser la créa­tion. S’il ne s’inscrit pas dans le diver­tis­se­ment, dans des opéra­tions de pres­tige au niveau terri­to­rial ou simple­ment dans une dyna­mique de consom­ma­tion, il a de grandes diffi­cul­tés à être financé pour son acte de création.

S&F : Qu’en est-il de celles et ceux qui souhaitent sortir de ce cadre aujourd’hui ?

R.B. : Il y a évidem­ment toujours moyen de sortir de ce cadre. Il y a une quan­tité phéno­mé­nale de pratiques artis­tiques qui échappent quasi complè­te­ment au marché et à l’économie. Le philo­sophe Bernard Stie­gler remet d’ailleurs en valeur les pratiques amateurs en tant que syno­nymes de créa­ti­vité, d’inventivité et de créa­tion de lien social. Sa conclu­sion est que le meilleur moyen de lutter contre la marchan­di­sa­tion est la pratique de la gratuité, dont l’État, malgré toutes les diffi­cul­tés de mise en œuvre, reste le meilleur garant.

S&F : Quel serait alors l’enjeu majeur du domaine artis­tique vis-à-vis de l’économie aujourd’hui ?

R.B. : L’enjeu majeur est de redon­ner aux artistes, aux produc­teurs, aux travailleurs, etc., un véri­table pouvoir écono­mique de produire, de se placer sur le marché s’ils le souhaitent et, surtout, de négo­cier. La majeure partie du pouvoir symbo­lique a été dépor­tée vers des opéra­teurs privés ou insti­tu­tion­nels. L’artiste a telle­ment peu de pouvoir aujourd’hui que cela impacte sa capa­cité de créa­tion. Dès lors, des subven­tions publiques, attri­buées à des insti­tu­tions avec des missions de service public, assor­ties de quotas desti­nés à la rému­né­ra­tion de l’acte de créa­tion sont des avan­cées fort posi­tives. En paral­lèle, la mise en place dans les médias de quotas de produc­tions spéci­fi­que­ment locales2 est impor­tante. La noto­riété qu’un créa­teur peut acqué­rir au travers du renfor­ce­ment de sa diffu­sion peut l’aider à renfor­cer son pouvoir de négo­cia­tion face aux produc­teurs et aux diffuseurs.


  1. Avec 10 bureaux en Belgique et 55 000 membres, SMart propose des conseils, des forma­tions et des outils admi­nis­tra­tifs, juri­diques, fiscaux et finan­ciers pour simpli­fier et léga­li­ser l’activité profes­sion­nelle dans le secteur créa­tif, parti­cu­liè­re­ment pour les inter­mit­tents et les free­lances (www​.smartbe​.be).
  2. Voir la sugges­tion du Facir – www​.facir​.be
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