• Philippe Marchal
    Philippe Marchal
    directeur adjoint des Territoires de la Mémoire asbl

Arts et pouvoir : à binôme controversé, programme varié !

Du 16 octobre 2014 au 29 mars 2015, les Terri­toires de la Mémoire asbl, en parte­na­riat avec l’Université de Liège, la Ville de Liège, l’asbl Mnema et Art & Fact, propo­se­ront une program­ma­tion axée autour de la théma­tique Arts et Pouvoir. À cette occa­sion, La Cité Miroir Sauve­nière accueillera de nombreuses acti­vi­tés qui permet­tront de décou­vrir les multiples rela­tions que le pouvoir entre­tient avec l’art… sous toutes ses formes.

Sans doute est-ce une constante : presque tous les pouvoirs utilisent l’art à des fins poli­tiques. Une autre façon d’affirmer que l’expression artis­tique n’est jamais neutre ? Si pour la plupart, les artistes reven­diquent, en toute légi­ti­mité, une totale liberté, qu’en est-il de la manière dont le pouvoir les instru­men­ta­lise peu ou prou ? À ce titre, l’exposition La vente de Lucerne est un exemple qui confine à l’évidence… même si l’événement a fait ou fait toujours l’objet d’une contro­verse. Plus juste­ment, il convient d’intituler cette vente excep­tion­nelle plus clai­re­ment : L’art dégé­néré selon Hitler.

Retour rapide sur l’historique …

Lucerne, le 30 juin 1939… Engagé depuis plusieurs années déjà dans la mise en œuvre d’une vaste propa­gande de type tota­li­ta­riste, le parti national–socialiste d’Adolf Hitler entend égale­ment réali­ser une opéra­tion finan­cière inté­res­sante en vue de rassem­bler des fonds pour soute­nir l’armement et l’économie d’une guerre qui s’annonce. Une grande vente aux enchères est orga­ni­sée à la gale­rie Fischer à Lucerne (Suisse). L’événement est excep­tion­nel à plus d’un titre et les artistes présents au cata­logue de cette vente (Chagall, Picasso, Van Gogh, Gauguin, Ensor, Lauren­cin, …) sont tous consi­dé­rés par les nazis comme « artistes dégé­né­rés » ! Un concept dont l’opacité des contours manque de cohé­rence et de précision.

Quoi qu’il en soit, pour les auto­ri­tés alle­mandes, cette vente n’a pas obtenu le succès escompté. Il n’en est pas de même pour la délé­ga­tion de la Ville de Liège (Jacques Ochs, Auguste Buis­se­ret, Olympe Gilbart) qui fait l’acquisition de neuf œuvres prestigieuses.

L’exposition inter­na­tio­nale qui sera montrée à Liège (une quaran­taine d’œuvres) s’inscrit donc dans une vraie conti­nuité et l’accueillir dans les bâti­ments de La Cité Miroir est en parfaite adéqua­tion avec l’importance de cet événement.

Dans le même temps, une autre expo­si­tion, inti­tu­lée Notre combat, sera propo­sée aux visi­teurs. Linda Ellia, artiste peintre et photo­graphe, s’est inter­ro­gée sur la manière de conscien­ti­ser le public aux dangers du livre d’Adolf Hitler, Mein Kampf, qui tombera dans le domaine public au 1er janvier 2016. Elle a donc décidé de créer une œuvre collec­tive au départ de l’œuvre : ses 600 pages ont été distri­buées à autant d’intervenants qui repré­sentent les quelque 6 millions de morts parmi les dépor­tés. Chacun traduira sur la page l’émotion qu’elle lui inspire. Le but : construire un nouveau livre, appelé Notre combat.

 

La venue à Liège de ces deux expo­si­tions, qui béné­fi­cie­ront d’une scéno­gra­phie commune, présente sans conteste un carac­tère excep­tion­nel. Pour les parte­naires du projet, ce sera l’occasion de propo­ser un panel d’activités connexes pour alimen­ter cette vaste réflexion : un accom­pa­gne­ment péda­go­gique spéci­fique à chaque expo­si­tion, une approche histo­rique de la théma­tique, la concep­tion de notices et dossiers théma­tiques à desti­na­tion d’un large public, l’édition d’un ouvrage de Raphaël Schrae­pen sur la musique dite « dégé­né­rée » dans la collec­tion Libres écrits des Terri­toires de la Mémoire asbl et une rencontre d’auteur, la présen­ta­tion d’une Biblio­thèque insou­mise réunis­sant des ouvrages « inter­dits » par les nazis, propo­sée par la biblio­thèque George Orwell, une sélec­tion de livres par la librai­rie Stéphane Hessel ainsi que la mise à dispo­si­tion d’expositions du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège : La Censure, Stéréo­types, Le Cirque des Clones Numé­riques, etc.

La venue à Liège de ces deux expo­si­tions, qui béné­fi­cie­ront d’une scéno­gra­phie commune, présente sans conteste un carac­tère exceptionnel.

Dans la foulée, les Terri­toires de la Mémoire asbl, en parte­na­riat avec la Biblio­thèque centrale Les Chiroux proposent aux très nombreux parte­naires du programme Aux Livres, Citoyens ! de se mobi­li­ser égale­ment autour du programme Arts et pouvoir. Une théma­tique très parti­cu­lière qui permet­tra à chacun d’entre nous d’exercer son esprit critique… en toute liberté !

L’art dégé­néré ou entar­tete Kunst
Avant l’accession d’Hitler au pouvoir et l’élaboration d’une esthé­tique offi­cielle que l’on peut quali­fier de « nazie », les nazis s’étaient distin­gués par une oppo­si­tion brutale à toute une série de formes d’expression artis­tique. Ils quali­fièrent ces dernières de « dégé­né­rées », terme qui trahit à nouveau la percep­tion biolo­gique que le nazisme avait de la société. Dès 1933, les nazis eurent les coudées franches pour stig­ma­ti­ser, inter­dire voire persé­cu­ter les artistes et courants artis­tiques indé­si­rables. Dans la ligne de mire de Hitler et ses complices : les artistes, auteurs ou œuvres quali­fiés de « juifs » ou de « bolche­viques », l’art moderne, d’avant-garde, le jazz, etc.

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