• Aziz Saïdi
    Aziz Saïdi
    président d’Algèbre asbl
Propos recueillis par Dorothy Bocken

Algèbre : pour un art qui crée du lien !

Dans les années 90, l’Algérie connaît une période de troubles. Afin de soutenir les démocrates en proie à la virulence des intégristes, qui s’en prennent dans un premier temps au milieu socio-culturel, se crée à Liège l’association citoyenne Algèbre. La situation en Algérie évolue ensuite et l’association entre dans une période de somnolence, pour, plus tard, redémarrer en axant son travail sur le dialogue des cultures. Elle entend ainsi lutter contre les extrémismes, et particulièrement les intégrismes religieux, à travers des activités d’éducation permanente organisées autour d’expositions d’artistes engagés. C’est à ce moment qu’elle greffe son projet à celui des Grignoux en s’occupant de la Galerie d’exposition Le Parc puis celle du cinéma Churchill. Ce qu’elle fait maintenant depuis une vingtaine d’années.

But avoué : décloisonner le quartier populaire de Droixhe, qui, à l’époque était présenté comme un quartier ghetto problématique. L’équipe des Grignoux décide donc de créer un pont entre le centre de la cité et Droixhe, où se trouve le cinéma Le Parc. L’idée : dédicacer un espace d’expositions ouvert aux artistes. Une démarche qui a permis d’accueillir un public différent, celui des arts plastiques, et de changer le regard sur le quartier. Aujourd’hui, Droixhe propose une belle diversité dans les offres culturelles, avec, à la clé, un véritable mélange des populations. Mission accomplie !


Entretien avec

Aziz Saïdi

« Un autre art est possible ! »

Salut & Frater­nité : Quel type d’expositions trouve-t-on dans ces deux galeries ?

Aziz Saïdi : Ces espaces d’exposition sont ouverts à tous les artistes qui véhi­culent un message en accord avec nos valeurs laïques. C’est impor­tant de main­te­nir des espaces d’expression artis­tique, acces­sibles gratui­te­ment, qui offrent une belle visi­bi­lité au cœur de Liège.

Algèbre travaille avec des artistes qui s’interrogent sur les contra­dic­tions de notre société. Par exemple, la dernière expo­si­tion s’interroge sur la globa­li­sa­tion, la finance et la crise actuelle, via des phrases très percu­tantes qui inter­pellent le visi­teur. L’association privi­lé­gie égale­ment les syner­gies artis­tiques, mises en œuvre en 2007 pour trai­ter la théma­tique de la métal­lur­gie ou encore celle de l’interculturalité : face à chaque œuvre se sont expri­mées des person­na­li­tés d’horizons et de milieux diffé­rents. Le rôle d’Algèbre est de favo­ri­ser le travail de l’artiste qui croise son travail avec une critique perti­nente de ce qui l’entoure, car l’art est abso­lu­ment essen­tiel pour sensi­bi­li­ser, éduquer et questionner.

Algèbre offre une visi­bi­lité à de nombreux artistes liégeois peu ou pas connus.

S&F : Pensez-vous que l’art est alors acces­sible à tout le monde ?

A.S. : Malheu­reu­se­ment un certain art est inac­ces­sible à toute une partie de la popu­la­tion. La globa­li­sa­tion, le capi­ta­lisme fou ont placé l’art au milieu des marchés finan­ciers et de la spécu­la­tion. L’art y est une marchan­dise, il est de moins en moins engagé et il est basé sur des livrets de commande. Tout est cade­nassé par deux ou trois grosses maisons de vente, marchands inter­na­tio­naux et quelques grandes gale­ries améri­caines qui décident de la cote des artistes. La plupart d’entre eux a alors pour prin­ci­pal souci de se vendre. Les rencontres inter­na­tio­nales d’art contem­po­rain sont d’ailleurs de véri­tables foires commerciales.

Tout est cade­nassé par deux ou trois grosses maisons de vente, marchands inter­na­tio­naux et quelques grandes gale­ries améri­caines qui décident de la cote des artistes. La plupart d’entre eux a alors pour prin­ci­pal souci de se vendre.

Cepen­dant, il est faux de penser que l’art est réservé à une certaine élite. C’est un acteur impor­tant de l’éducation perma­nente. Algèbre a déjà plus d’une fois parti­cipé à des ateliers avec un public dit « défa­vo­risé » : la richesse et la créa­tion qui en ressortent sont impres­sion­nantes. Le travail de notre asso­cia­tion est de mettre l’art à la portée de tout le monde. Les espaces de créa­tion artis­tique ne sont pas exclu­sifs : tout le monde peut les fréquen­ter. Il faut lutter contre l’idée que le peuple est « bête » et qu’il ne peut consom­mer que ce qui est bas de gamme et mauvais, alors que la qualité est lais­sée aux autres, aux riches. L’art amène l’interrogation, la colla­bo­ra­tion… et il doit faire partie de l’éducation à travers l’école, les asso­cia­tions, les espaces publics… Or il fait peur car le spec­ta­teur est tout de suite jugé s’il ne comprend pas une oeuvre. Cette école d’art contem­po­rain, qui s’est impo­sée comme la seule réfé­rence en la matière, a en effet créé un modèle iden­tique à celui de la pensée unique.

S&F : L’art engagé a‑t-il disparu ?

A.S. : Bien sûr que non ! Mais puisque la logique marchande ramène l’art à un travail de l’artiste sur lui-même, elle a de plus en plus tendance à lui faire oublier ce qui l’entoure. Dès lors, le rôle d’Algèbre est de soute­nir les artistes enga­gés qui ne se placent pas dans cette logique marchande et qui risquent, du coup, de ne pas être dans l’air du temps car ils ne rentrent pas dans ce système, très à la mode, de commandes. Algèbre travaille à contrer cet aspect des choses et montrer aux  artistes qu’il n’y a pas que l’aspect finan­cier qui compte, mais que la créa­tion, la recherche et le travail sont égale­ment très impor­tants. Les artistes sont présents pour nous inter­pel­ler, nous aider à nous inter­ro­ger. Mais c’est très compli­qué pour eux car l’espace laissé pour cet art-là est forcé­ment très restreint. Voilà pour­quoi Algèbre se bat pour main­te­nir des espaces de créa­tion tels que les espaces d’exposition des ciné­mas Le Parc et Le Chur­chill à Liège.

(…) le rôle d’Algèbre est de soute­nir les artistes enga­gés qui ne se placent pas dans cette logique marchande et qui risquent, du coup, de ne pas être dans l’air du temps car ils ne rentrent pas dans ce système, très à la mode, de commandes.

En conclu­sion, Algèbre défend l’idée qu’un autre art est possible ! La Laïcité parti­cipe à ce combat depuis des années en soute­nant non seule­ment le travail d’Algèbre mais égale­ment celui des artistes. La longue colla­bo­ra­tion avec le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège, qui permet de faire une promo­tion de qualité de leur travail, est primor­diale car ils n’y parvien­draient pas seuls. L’artiste est fragile et son statut est précaire ! La Laïcité doit conti­nuer à être présente à leurs côtés !

Un art à la portée de tous est possible !

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