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Roger Burton,
spécialiste du champ culturel et du statut de l’artiste
À la recherche du pouvoir de créer
Roger Burton a une longue expérience dans le champ culturel et dans le domaine du statut de l’artiste. Il travaille actuellement pour SMart1 où il a particulièrement suivi la réforme du statut de l’artiste et des règles du chômage qui leur sont appliquées. Il nous éclaire sur la situation économique des métiers artistiques et dans le champ de la création.
Salut & Fraternité : Quel est le statut de l’art dans notre société marchande ?
Roger Burton : Pour de nombreuses personnes, et selon plusieurs études sérieuses, le secteur de la création est un secteur à part entière qui contribue largement au Produit Intérieur Brut (PIB) d’un pays. Les œuvres d’art plastique, les créations théâtrales ou encore les longs métrages s’inscrivent dans le marché. L’industrie du droit d’auteur (31 milliards de chiffre d’affaire en Belgique) a une dimension clairement marchande. Ce mode de rémunération, proportionnel au chiffre d’affaire de la vente ou à l’exploitation d’un produit, est directement lié au succès commercial d’une œuvre ou d’un auteur. Mais ce n’est qu’une part de la création artistique. Le financement public a un rôle important : en dépendent particulièrement les œuvres théâtrales ou la danse.
S&F : L’objectif de l’art a‑t-il toujours été considéré à ce point sous le prisme du marché ?
R.B. : Je ne pense pas qu’il y ait de changements, si ce n’est l’échelle. En regard de l’histoire de l’art, notamment des arts plastiques, il existe un lien fort entre les artistes et les mécènes. Très tôt, les banquiers vénitiens ont compris tout le parti qu’ils pouvaient trouver à associer leur entreprise à un peintre. Les contrats de l’époque étaient d’ailleurs très précis à ce sujet. Ils incluaient des tarifications en fonction de la superficie, du sujet, de l’importance de l’atelier et de la notoriété de l’auteur. Il y a donc toujours eu des relations relativement complexes entre le monde de l’argent et le milieu artistique.
Il devient de plus en plus ardu, pour un artiste, d’échapper à cette marchandisation ainsi qu’aux dispositifs mis en place pour monétiser la création. S’il ne s’inscrit pas dans le divertissement, dans des opérations de prestige au niveau territorial ou simplement dans une dynamique de consommation, il a de grandes difficultés à être financé pour son acte de création.
Aujourd’hui, la situation n’a fait que prendre de l’importance. Il devient de plus en plus ardu, pour un artiste, d’échapper à cette marchandisation ainsi qu’aux dispositifs mis en place pour monétiser la création. S’il ne s’inscrit pas dans le divertissement, dans des opérations de prestige au niveau territorial ou simplement dans une dynamique de consommation, il a de grandes difficultés à être financé pour son acte de création.
S&F : Qu’en est-il de celles et ceux qui souhaitent sortir de ce cadre aujourd’hui ?
R.B. : Il y a évidemment toujours moyen de sortir de ce cadre. Il y a une quantité phénoménale de pratiques artistiques qui échappent quasi complètement au marché et à l’économie. Le philosophe Bernard Stiegler remet d’ailleurs en valeur les pratiques amateurs en tant que synonymes de créativité, d’inventivité et de création de lien social. Sa conclusion est que le meilleur moyen de lutter contre la marchandisation est la pratique de la gratuité, dont l’État, malgré toutes les difficultés de mise en œuvre, reste le meilleur garant.
S&F : Quel serait alors l’enjeu majeur du domaine artistique vis-à-vis de l’économie aujourd’hui ?
R.B. : L’enjeu majeur est de redonner aux artistes, aux producteurs, aux travailleurs, etc., un véritable pouvoir économique de produire, de se placer sur le marché s’ils le souhaitent et, surtout, de négocier. La majeure partie du pouvoir symbolique a été déportée vers des opérateurs privés ou institutionnels. L’artiste a tellement peu de pouvoir aujourd’hui que cela impacte sa capacité de création. Dès lors, des subventions publiques, attribuées à des institutions avec des missions de service public, assorties de quotas destinés à la rémunération de l’acte de création sont des avancées fort positives. En parallèle, la mise en place dans les médias de quotas de productions spécifiquement locales2 est importante. La notoriété qu’un créateur peut acquérir au travers du renforcement de sa diffusion peut l’aider à renforcer son pouvoir de négociation face aux producteurs et aux diffuseurs.
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