• Michèle Coppens

L’évolution du cours de morale : entre neutralité, pluralisme et engagement

Même si, présen­te­ment, le débat porte essen­tiel­le­ment sur le cadre juri­dique et péda­go­gique à construire pour vali­der l’accès de tous les jeunes de l’enseignement obli­ga­toire à une éduca­tion à la citoyen­neté active et respon­sable, à une initia­tion au ques­tion­ne­ment philo­so­phique dans une visée univer­sa­liste et à une infor­ma­tion sur l’histoire cultu­relle des reli­gions, mon propos visera à poin­ter certaines diffi­cul­tés, inco­hé­rences mais aussi contri­bu­tions posi­tives du cours de morale à ce débat.

Prati­cienne du cours de morale depuis les années 70, et inspec­trice du cours dans l’enseignement secon­daire durant neuf ans, je ne peux m’empêcher de poin­ter une certaine évolu­tion des notions de neutra­lité et d’engagement dont le cours de morale fait parfois les frais.

Une neutra­lité à plusieurs vitesses

Il semble que l’on soit passé peu à peu d’une concep­tion « étroite » de la neutra­lité de l’enseignement appli­quée au cours de morale et aux cours des reli­gions recon­nues, par l’interprétation stricto sensu de l’art 24 §1er de la Consti­tu­tion « offrant le choix entre l’enseignement d’une reli­gion recon­nue (prin­ci­pa­le­ment la reli­gion catho­lique) et celui de la morale non confes­sion­nelle », à une concep­tion « large » de la neutra­lité, étant donné la recon­nais­sance succes­sive de quatre reli­gions supplé­men­taires (protes­tante, israé­lite, ortho­doxe, musul­mane), ainsi que la recon­nais­sance de la laïcité orga­ni­sée (en 1993). Ces dernières années, sont venues s’ajouter les reven­di­ca­tions de plus en plus fréquentes des Témoins de Jého­vah ainsi que celles des boud­dhistes (aujourd’hui recon­nus comme concep­tion de vie non confes­sion­nelle) à un cours spécifique.

Raisons pour lesquelles, il semble bien que l’on soit passé sur le plan juri­dico poli­tique — en ce qui concerne le cours de morale — de la concep­tion d’un cours « rési­duaire », destiné à tous ceux qui ne se recon­naissent dans aucune des reli­gions recon­nues ensei­gnées, à un cours « engagé » s’inscrivant dans la mouvance de la laïcité insti­tu­tion­nelle. Au plan poli­tique et péda­go­gique, ceci s’est traduit par le décret Neutra­lité adopté par le réseau de la Commu­nauté fran­çaise en 1994 qui donne un nouvel inti­tulé au cours de morale « cours de morale inspi­rée par l’esprit de libre examen ».

(…) la notion de neutra­lité se décline de trois manières diffé­rentes selon le réseau d’enseignement concerné : très exigeante dans le réseau de la Commu­nauté fran­çaise, moins contrai­gnante dans le réseau offi­ciel subven­tionné et encore moins contrai­gnante dans le réseau libre confessionnel.

Toute­fois, on ne peut s’empêcher de consta­ter que cette évolu­tion du cours de morale semble incom­plète à plusieurs niveaux, car le décret de l’enseignement offi­ciel subven­tionné adopté en 2003 mentionne la termi­no­lo­gie ancienne « cours de morale non confes­sion­nelle ». Ce qui fait dire à certains obser­va­teurs aver­tis que la notion de neutra­lité se décline de trois manières diffé­rentes selon le réseau d’enseignement concerné : très exigeante dans le réseau de la Commu­nauté fran­çaise, moins contrai­gnante dans le réseau offi­ciel subven­tionné et encore moins contrai­gnante dans le réseau libre confes­sion­nel. Alors que le cœur de la notion de neutra­lité  vise l’obligation qui est faite aux ensei­gnants d’éduquer les élèves au respect des liber­tés et des droits fonda­men­taux et qu’il s’agit d’une neutra­lité « posi­tive »,  autre­ment dit d’un enga­ge­ment envers ces droits et liber­tés,  par oppo­si­tion à une neutra­lité d’éviction ou d’abstention. L’on pourra s’étonner de la frilo­sité des réseaux d’enseignement à inté­grer la neutra­lité posi­tive envi­sa­gée par le décret de 1994, prin­cipe qui traduit, somme toute, l’extension du domaine des droits de l’homme dans le champ scolaire ou éduca­tif, notam­ment, dans sa dimen­sion d’égalité et de respect des convic­tions. En ce qui concerne le cours de morale, l’on ne peut que regret­ter la confu­sion que cette situa­tion crée souvent dans le chef des ensei­gnants et des citoyens.

Profes­seur de morale et profes­seur de reli­gion : des statuts différents

À cela s’ajoute le fait que le statut du profes­seur de morale est assi­milé à celui des autres ensei­gnants dans la mesure où le titu­laire de ce cours est dési­gné par le pouvoir orga­ni­sa­teur et non par une instance de culte (comme c’est le cas pour les profes­seurs de reli­gion), et dans la mesure où la forma­tion initiale du profes­seur de morale est celle d’un ensei­gnant de n’importe quelle disci­pline avec une option supplé­men­taire en morale pour les insti­tu­teurs et régents, ou un master en philo­so­phie, par préfé­rence dans un ensei­gne­ment non confes­sion­nel ! Cet aspect revêt une grande impor­tance aux yeux des titu­laires car, la forma­tion initiale des ensei­gnants de morale est univer­sa­liste et plura­liste, ce qui leur ouvre des possi­bi­li­tés de promo­tion et de sélec­tion au même titre que leurs collègues des autres disciplines.

Une méthode : le libre examen

Rappe­lons qu’à ce jour, le programme du cours de morale de l’enseignement secon­daire de la Fédé­ra­tion Wallo­nie-Bruxelles  a été approuvé par le Gouver­ne­ment (2002) et que son contenu se réfère expli­ci­te­ment aux objec­tifs géné­raux du décret « Missions » (1997) adop­tant ainsi une péda­go­gie par compé­tences, au décret « Neutra­lité » de 1994, ainsi qu’aux choix fonda­men­taux de la laïcité. Cette dernière réfé­rence fait dire au consti­tu­tio­na­liste Hugues Dumont que c’est là la preuve que le cours de morale a « perdu son carac­tère rési­duaire pour celui d’un cours engagé en faveur de la laïcité orga­ni­sée ». Ce à quoi je ne puis m’empêcher de répondre que le laïcité n’est pas faite d’un seul bloc et que cela repré­sente une richesse, tant pour les laïques philo­so­phiques que pour tous les citoyens. D’autre part, le cours de morale est le seul cours dans le cadre duquel le programme prévoit une infor­ma­tion et une réflexion sur la laïcité comme concept et comme valeur, à côté d’autres comme le plura­lisme, la tolé­rance, etc. Ajou­tons que le même programme prévoit de façon expli­cite, aux divers degrés de l’enseignement secon­daire obli­ga­toire, d’éduquer au ques­tion­ne­ment philo­so­phique et à l’examen des grandes ques­tions portant sur le sens ; les réponses cultu­relles, reli­gieuses, idéo­lo­giques, philo­so­phiques et sur la place de l’homme dans celles-ci. Cela me permet de consi­dé­rer que le programme est non seule­ment conforme aux recom­man­da­tions du Conseil de l’Europe en matière de respect des convic­tions mais qu’il en respecte l’esprit au sens où ce sont les diverses réponses, qu’elles soient théistes, déistes, agnos­tiques ou athées qui sont envi­sa­gées : l’initiation à la connais­sance du fait reli­gieux est donc bien envi­sa­gée d’un point de vue plura­liste dans le cadre du programme du cours de morale, la méthode est libre exaministe.

(…) ce cours est contrôlé tant au plan du respect des conte­nus qu’au plan des compé­tences à atteindre par un corps d’inspection dési­gné à cet effet, tant au niveau de l’enseignement fonda­men­tal qu’au niveau de l’enseignement secondaire.

Rappe­lons égale­ment que ce cours est contrôlé tant au plan du respect des conte­nus qu’au plan des compé­tences à atteindre par un corps d’inspection dési­gné à cet effet, tant au niveau de l’enseignement fonda­men­tal qu’au niveau de l’enseignement secon­daire. C’est pour­quoi, je me permet­trai de conclure que ce cours ne béné­fi­cie pas de la recon­nais­sance qu’il mérite, ajou­tant qu’il n’a toujours pas de socles de compé­tences ni de compé­tences termi­nales recon­nues alors que celles-ci sont décli­nées dans le programme dont il a été question.

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