-
Claudine Leleux,
auteure de trois tomes d’éducation à la citoyenneté aux éditions De Boeck
Un cours d’éducation philosophique, éthique et citoyenne ?
En 1997 déjà, le Décret Missions1 prévoyait que l’école éduque à la citoyenneté responsable, sans préciser à quelle citoyenneté éduquer, ni comment le faire. Dix ans plus tard, un décret citoyenneté2 entreprenait d’encourager les chefs d’établissement à organiser des activités communes aux différents cours philosophiques.
L’éducation à la citoyenneté démocratique ne fait cependant toujours pas partie de tous les programmes des cours philosophiques. Malgré cela, Marie-Dominique Simonet, alors Ministre de l’Éducation, a imaginé un tronc commun entre le cours de morale non confessionnelle et les cours de religion en lui assignant trois objectifs : un questionnement philosophique, un dialogue interconvictionnel et une éducation à la citoyenneté.
Distinguer « savoir » et « croire »
C’est oublier que le questionnement philosophique est du ressort du « savoir » et non du « croire », et qu’il n’est tout simplement pas possible dans des religions qui n’ont pas déterminé les limites de l’un et de l’autre. Quant au dialogue interconvictionnel, il est sans doute intéressant pour les différentes religions reconnues qui veulent se rapprocher dans un esprit d’œcuménisme, mais est sans objet pour la morale non confessionnelle qui, comme son nom l’indique, aborde et questionne la morale sans référence à aucune confession particulière. Enfin, l’éducation à la citoyenneté n’est pas neutre : elle s’inscrit dans une histoire et dans une culture occidentales qui ont séparé, dans un premier temps, le pouvoir politique et le pouvoir ecclésiastique. Des révolutions démocratiques a en effet émergé une conception profane de la légitimité politique et son pendant individuel : le droit à la liberté de conscience et de culte. Cette laïcité politique distingue donc la sphère publique, régie par des principes rationnels sur lesquels les citoyens s’accordent, et la sphère privée où nous ne sommes pas tenus de nous accorder pour vivre ensemble. La question est dès lors de savoir si cette citoyenneté démocratique peut faire partie du cursus de toute religion.
(…) l’éducation à la citoyenneté n’est pas neutre : elle s’inscrit dans une histoire et dans une culture occidentales qui ont séparé, dans un premier temps, le pouvoir politique et le pouvoir ecclésiastique. Des révolutions démocratiques a en effet émergé une conception profane de la légitimité politique et son pendant individuel : le droit à la liberté de conscience et de culte.
Rôle de l’éducation philosophique
Un rapport très documenté avait déjà insisté, en 20003 , sur l’importance de l’éducation philosophique pour faire acquérir à nos élèves des compétences cognitives supérieures : réfléchir, analyser, critiquer, différencier les prétentions à l’exactitude, au bien et au juste, à l’authenticité… Ce rapport avait noté l’exception de la Fédération Wallonie-Bruxelles, seule entité juridique à ne pas prévoir d’enseignement philosophique dans l’Union européenne.
L’école (…) devrait plutôt former les jeunes générations aux compétences à la critique des normes établies.
Pourquoi une éducation éthique et citoyenne
Mais la philosophie est une discipline qui n’éduque pas au jugement normatif : elle ne permet pas aux élèves de développer leur compétence à discerner ce qui est bien et ce qui est juste. C’est la raison pour laquelle l’éducation philosophique doit être complétée par une éducation éthique et citoyenne. L’éducation éthique permet d’exercer le jeune à réfléchir à ce qu’il convient de faire pour bien faire en vue de son épanouissement personnel, tandis que l’éducation citoyenne l’exerce à réfléchir à ce qui est juste en vue du bien vivre ensemble en démocratie du 21e siècle. Si l’on pense que l’école ne doit pas se contenter d’instruire mais d’éduquer, et qu’il en va d’ailleurs de son objectif de socialisation, il est nécessaire de lui assigner la formation du jugement normatif, à égalité, pour tous les élèves pour autant qu’on renonce à transmettre une moralité publique toute faite et que l’on conçoive l’éducation à la citoyenneté sur le modèle de l’éthique de la discussion. Il ne peut donc être question d’une éthique qui considérerait des normes d’action valides a priori parce que transmises par Dieu ou la tradition, fût-elle démocratique. L’école n’aurait donc pas, dans cette optique, à transmettre une moralité substantielle mais devrait plutôt former les jeunes générations aux compétences à la critique des normes établies, c’est-à-dire à la réflexion sur leur bien-fondé.
- Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre (D. 24-07-1997 M.B. 23-09-1997).
- Décret relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française (D. 12-01-2007 M.B. 20-03-2007) ; modification : D. 13–12-07 (M.B. 13–03-08).
- Le Rapport introductif portant sur l’Introduction de davantage de philosophie dans l’enseignement, que ce soit à court ou à long terme a été publié aux éditions Luc Pire en 2001 sous le titre La Philosophie à l’école (ISBN 2–87415-100–9).