• Jacques Brotchi
    Jacques Brotchi
    professeur émérite de neurochirurgie à l'Université Libre de Bruxelles et président honoraire du Sénat

Vers une évolution de la loi

Il est du devoir du méde­cin de se tenir au courant des dernières avan­cées de la recherche, des progrès théra­peu­tiques, de permettre à ses malades de profi­ter d’une vie plus longue et heureuse. Mais le dialogue avec le patient est essen­tiel, quand c’est possible bien sûr, afin de connaître son opinion et d’en tenir compte. Et de lui assu­rer une fin de vie sans souf­frances à la condi­tion de respec­ter les condi­tions strictes de la loi du 28 mai 2002 sur l’euthanasie.


Que dit la loi du 28 mai 2002 rela­tive à l’euthanasie et quelles sont les condi­tions pour qu’une eutha­na­sie soit léga­le­ment pratiquée ?

Cet acte doit être prati­qué par un méde­cin sur une personne majeure ou mineure éman­ci­pée capable et consciente au moment de sa demande. La demande doit être volon­taire, réflé­chie et répé­tée sans pres­sion exté­rieure. Le patient doit se trou­ver dans une situa­tion médi­ca­le­ment sans issue à la suite d’une affec­tion grave et incu­rable causée par une mala­die ou un acci­dent. Le patient doit éprou­ver une souf­france physique et/ou psychique constante, insup­por­table et inapai­sable causée par cette affec­tion médi­cale (senti­ment de déchéance). Si le décès n’est pas prévu à brève échéance, l’avis d’un troi­sième méde­cin spécia­liste de la patho­lo­gie est requis quant à la qualité de la demande du patient et du carac­tère inapai­sable de ses souf­frances. Un délai d’un mois devra être respecté entre la demande écrite et l’euthanasie.

Malheu­reu­se­ment, la loi sur l'euthanasie reste impré­cise en ce qui concerne les troubles cogni­tifs. © Robina Weer­mei­jer – Unsplash​.com

Le méde­cin se procure lui-même les produits auprès du phar­ma­cien. Dans les quatre jours qui suivent l’euthanasie, le méde­cin doit en faire la décla­ra­tion auprès de la Commis­sion fédé­rale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie.

Mais cette loi est impré­cise en ce qui concerne les troubles cogni­tifs. La perte de conscience peut revê­tir d’autres facettes que le coma, telle la perte de conscience de son envi­ron­ne­ment comme la non recon­nais­sance de ses proches ou du lieu où l’on se trouve comme on le voit dans la mala­die d’Alzheimer, mala­die incu­rable à ce jour, qui entraîne la perte progres­sive et irré­ver­sible des fonc­tions mentales et notam­ment de la mémoire, l’ensemble finis­sant par évoluer vers la démence.

Le terme cogni­tif renvoie à l’ensemble des proces­sus psychiques liés à l’esprit. Il englobe une multi­tude de fonc­tions orches­trées par le cerveau : le langage, la mémoire, le raison­ne­ment, la coor­di­na­tion des mouve­ments (praxie), les recon­nais­sances (gnosies), la percep­tion et l’apprentissage ainsi que les fonc­tions exécu­tives regrou­pant le raison­ne­ment, la plani­fi­ca­tion, le juge­ment et l’organisation. En psycho­lo­gie, les proces­sus cogni­tifs corres­pondent à l’ensemble des proces­sus mentaux qui permettent à un indi­vidu d’acquérir, de trai­ter, de stocker et d’utiliser des infor­ma­tions ou des connais­sances. J’ai cité la mala­die d’Alzheimer mais d’autres affec­tions céré­brales sont égale­ment concer­nées, telles la mala­die de Parkin­son ou de Hunting­ton qui peuvent évoluer pendant de nombreuses années, mais aussi la mala­die de Creutz­feld-Jacob laquelle emporte le malade en quelques mois.

Le 21 juin 2013, j’avais déposé, avec Chris­tine Defraigne, une propo­si­tion de loi modi­fiant la loi du 28 mai 2002 rela­tive à l’euthanasie en vue de l’étendre aux personnes atteintes d’une affec­tion céré­brale incu­rable à un stade avancé et irré­ver­sible et qui avaient exprimé leurs volon­tés dans une décla­ra­tion anti­ci­pée d’euthanasie. Nous écri­vions : « Les auteurs souhaitent ainsi permettre à des personnes atteintes d’une mala­die neuro­dé­gé­né­ra­tive… d’envisager une fin de vie digne, réflé­chie et apai­sante. Le patient rele­vant d’une telle situa­tion est donc invité par la loi à trans­crire dans sa décla­ra­tion anti­ci­pée ses volon­tés, la manière dont il envi­sage sa fin de vie. Il y décrira sa défi­ni­tion de la perte de conscience et les condi­tions de son état… Cela peut être le fait d’être décon­necté de la réalité, de n’être plus conscient de son envi­ron­ne­ment et de ne même plus recon­naître ses proches, de ne plus se nour­rir seul, de se trou­ver dans un état graba­taire. Le malade décrit dans ce docu­ment SA concep­tion de la dignité humaine. »

Malheu­reu­se­ment, notre propo­si­tion de loi n’a pas été prise en consi­dé­ra­tion mais rien n’empêche que d’autres parle­men­taires s’en inspirent. Si tel était le cas, je serais ravi d’y colla­bo­rer en tant que neurochirurgien.


  • En mai 2022, le Centre d’Action Laïque, deMens​.nu, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité et Leven­sEinde Infor­ma­tie Forum ont égale­ment reven­di­qué d’étendre la possi­bi­lité de recours à l’euthanasie par une modi­fi­ca­tion du champ d’application de la décla­ra­tion anticipée.
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