• François Damas
    François Damas
    médecin au CHR de la Citadelle de Liège où il est responsable de la consultation fin de vie
Propos recueillis par Charlotte Collot

De la demande à l’acte

Depuis 2014, le docteur Fran­çois Damas tient une consul­ta­tion de fin de vie à l'hôpital de la Cita­delle à Liège. Il nous parle de son expé­rience en tant que méde­cin prati­quant l’euthanasie.

Salut & Frater­nité : Comment se passe une euthanasie ?

Fran­çois Damas : C’est variable. Cela dépend des circons­tances, de la mala­die et du temps que celle-ci, en évoluant, laisse aux malades. D’abord, il faut une vraie demande, répé­tée, d’un patient vis-à-vis d’un méde­cin. Il doit y avoir une vraie confron­ta­tion d’un malade qui s’estime dans une situa­tion diffi­cile, insup­por­table ou sans issue, et un méde­cin qui doit accep­ter d’en parler avec son patient, l’écouter et lui faire obser­ver, éven­tuel­le­ment, d’autres solu­tions, ou bien travailler avec lui vers cette voie qu’il réclame, si la demande est compré­hen­sible, accep­table, raison­nable et conforme à la loi. Le méde­cin doit s’assurer que c’est bien le meilleur dernier service à rendre à ce patient. L’euthanasie n’est pas seule­ment un acte létal, c’est un parcours durant lequel le méde­cin suit son patient, échange avec les équipes soignantes et rencontre la famille pour expli­quer le choix du patient et, pour lui aussi, se faire une opinion, une convic­tion. La procé­dure peut abou­tir à une eutha­na­sie, mais ce n’est pas toujours le cas. Certains suivent le parcours et n’activent jamais la demande au dernier moment. Sur dix demandes d’euthanasie, il y en a peut-être une qui est farfe­lue, qui n’a rien à voir avec les condi­tions légales. Il y en a entre trois et cinq qui sont des demandes de soins pallia­tifs bien conduits. Et le reste sont des vraies demandes d’euthanasie où les patients se sentent capables d’assumer le choix de la date et l’heure de leur mort et s’en sentent soula­gés. Mais sur ceux-là, au moins encore un ou deux n’activeront pas la demande parce que la fin de leur vie se passe sans doute mieux que ce qu’ils crai­gnaient. Sur les dix demandes, une ou deux abou­ti­ront, en défi­ni­tive, à une euthanasie.

Sur les dix demandes, une ou deux abou­ti­ront, en défi­ni­tive, à une euthanasie.

S&F : Quel est le rôle du méde­cin et de l’entourage pendant ce parcours ?

F.D. : Le méde­cin rencontre le patient et construit avec lui son dernier parcours qui peut abou­tir à une eutha­na­sie. Dans ce cas, c’est le méde­cin qui réalise l’acte. Dans la procé­dure belge, il n’y a pas de distinc­tion entre eutha­na­sie (le méde­cin apporte et admi­nistre le produit) et suicide assisté (le patient s’auto-administre le produit). Le méde­cin doit être présent dans l’un et l’autre cas.

La loi précise que la famille ne peut s’opposer à la déci­sion du malade, pourvu que celle-ci respecte les condi­tions légales et que le méde­cin soit d’accord de réali­ser l’acte. La famille n’a pas à s’opposer, mais elle doit être infor­mée, à moins que le patient refuse. Le malade peut exiger du méde­cin le secret le plus absolu. Il peut donc choi­sir de mourir sans préve­nir ses proches. Ce choix peut s’expliquer parfois, mais ce n’est pas du tout le scéna­rio que je défends. Je répète toujours ces mêmes mots à ces patients : s’ils sont capables de choi­sir le moment de leur mort, ils doivent la prépa­rer, ce qui inclut d’informer les proches de la situa­tion et de ce choix. L’implication de l’entourage permet, la plupart du temps, que cela se passe de manière sereine et apai­sée. Même si le patient est soulagé par sa déci­sion, il a souvent besoin de l’assentiment de ses proches. Mais pour que ceux-ci comprennent et soutiennent ce choix, il faut un dialogue car ce n’est évidem­ment pas toujours facile à admettre. Le parcours et son abou­tis­se­ment peuvent repré­sen­ter une vraie expé­rience parta­gée qui peut être le lieu et l’occasion de moments très intenses et inoubliables.

S&F : En tant que méde­cin, comment gère-t-on ce moment émotionnellement ?

F.D. : Tous les méde­cins ne sont pas confron­tés à la mort de manière égale. Certains ne rencontrent jamais de morts tandis que pour d’autres, c’est le quoti­dien. Quand j’étais en réani­ma­tion, j’étais confronté tous les jours à la mort dans des circons­tances qui n’étaient pas prépa­rées ni apai­sées. Cela se passait souvent dans le stress et dans une émotion épou­van­table, contrai­re­ment aux décès par eutha­na­sie. J’assume et je vis ces expé­riences beau­coup plus serei­ne­ment car je sais que nous rendons service à ces patients.

S&F : En Belgique, la loi rela­tive à l’euthanasie a 20 ans cette année. Quel bilan en tirez-vous ?

F.D. : Je pense que les trois lois de 2002 rela­tives aux droits du patient, à l’euthanasie et aux soins pallia­tifs ont permis d’améliorer nette­ment l’accompagnement médi­cal des fins de vie diffi­ciles et de rééqui­li­brer le rapport entre les malades et les médecins.


  • Dans Les mots de la fin, Gaëlle Hardy & Agnès Lejeune ont suivi le docteur Damas pendant ses consul­ta­tions avec ses patients en fin de vie. Un docu­men­taire touchant et éclai­rant à voir absolument.
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