- Philippe Mahoux,
médecin, sénateur honoraire, ancien ministre et co-auteur des lois sur l’euthanasie et les soins palliatifs
Quelle évolution dans l’attitude des piliers par rapport aux problèmes éthiques ?
Centrons notre réflexion sur la loi de 2002 autorisant l’euthanasie1. L’enjeu de cette loi est bien d’humaniser la fin de vie, ce qui revêt plusieurs significations entremêlées : éviter aux malades qui le désirent des souffrances intolérables ; renforcer le pouvoir d’agir de chacun sur sa propre vie ; ne pas imposer aux malades la fatalité d’une réputée volonté divine.
Il faut d’abord se rappeler que les débats relatifs à la loi ont été d’une rare intensité. Ceux qui portaient la proposition de loi ont eu à subir des accusations d’intolérance et des injures.
Deux courants oppositionnels cumulaient en réalité leurs effets dans cette rude opposition à l’adoption de la loi : un courant convictionnel, qui arguait du caractère sacré de la vie humaine pour déposséder le malade de son libre arbitre ; un courant médical, qui n’entendait pas partager son pouvoir sur la santé.
Il n’est pas inutile de se rappeler, pour s’interroger sur l’évolution des attitudes, qu’un pilier est toujours composite ; il est fait d’institutions (comme l’Église), de porte-paroles (par exemple politiques, associatifs…) et d’adhérents.
Quelle évolution s’est produite en Belgique en 20 ans ?
Remarquons d’emblée que les applications successives de la loi ont montré que celle-ci ne produisait pas les effets apocalyptiques que d’aucuns avaient prédit.
Les médecins croyants ont pu expérimenter que la loi était applicable en respectant leur foi. On peut noter par exemple que la Dr C. Van Oost, d’abord adversaire de la loi, avait publié en 2014 un avis remarqué disant que c’était au nom même de sa foi qu’elle adhérait désormais à la loi, rejoignant ainsi l’opinion exprimée dès le XVIe siècle par Thomas More dans L’Utopie2.
La position de l’Église n’a, elle, pas changé.

Nous retrouvons là, dans cette sorte de dissociation des composantes du pilier, une des manifestations de la montée en puissance des droits du sujet à être le créateur de son existence : « Le sujet est l’effort de transformation d’une situation vécue en action libre. »3
Michel Wieviorka, qui commente cette définition, donne précisément l’exemple de la religion : les acteurs expliquent eux-mêmes leur foi comme une décision hautement subjective, personnelle4 ; leur foi est désormais bien davantage construite que déterminée par une tradition ou par le dogme.
Ce positionnement de l’Église catholique n’a pas empêché les évolutions de la loi : extension aux mineurs sous certaines conditions ; confirmation que la clause de conscience est individuelle et ne peut en aucun cas être invoquée par les institutions (hôpitaux, maisons de repos) ; obligation pour les médecins de transmettre les dossiers.
Par contre, au niveau international, les lobbys oppositionnels, belges y compris, ont continué à agir, dénigrant les applications de la loi belge pourtant présentée par certains comme modèle.
- Pour une présentation détaillée de l’historique de cette loi et de sa « fabrique », on peut se reporter à « Un exemple de travail politique : la proposition de loi sur l’euthanasie », in Ph. Mahoux et J. Blairon, De la fabrique des lois, Bruxelles, Centre d’Action Laïque, 2019, pp. 129 et sq. .
- Livre II « Les serviteurs » – Les malades et la mort volontaire.
- A. Touraine, Qu’est-ce que la démocratie ?, Paris, Fayard, 1994, p. 23.
- M. Wieviorka, Neuf leçons de sociologie, Paris, Laffont, 2008, pp. 20 et sq.