• Jacqueline Herremans
    Jacqueline Herremans
    avocate au barreau de Bruxelles et présidente de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD Belgique)

La loi euthanasie à l’épreuve de la justice

En dépé­na­li­sant l’euthanasie en 2002, le légis­la­teur voulait sous­traire du domaine judi­ciaire l’acte posé par un méde­cin de mettre fin à la vie de son patient à la demande de celui-ci, tout en respec­tant les condi­tions strictes reprises dans la loi. 


Mais cette loi présen­tait une faille : l’absence de sanc­tions spéci­fiques. 20 ans après, la Cour consti­tu­tion­nelle, en son arrêt du 20 octobre 2022, invite le légis­la­teur à corri­ger la loi à cet égard.

L’affaire Tine Nys devant la Cour d’Assises de Gand

Dans le cadre de cette affaire Tine Nys, du nom de la jeune femme qui avait obtenu l’euthanasie, la Cour d’assises de Gand avait prononcé le 31 janvier 2020 l’acquittement de trois méde­cins dont l’un, celui qui avait posé l’acte d’euthanasie, au béné­fice du doute. Les parties civiles, les sœurs et le père de Tine Nys ont obtenu la cassa­tion partielle de cet arrêt à l’égard du méde­cin béné­fi­ciant du doute.

La déci­sion de la Cour consti­tu­tion­nelle : vers une utile clari­fi­ca­tion de la loi

À la requête de ce méde­cin, le Tribu­nal correc­tion­nel de Termonde, qui avait à connaître de la suite de cette affaire, a saisi la Cour consti­tu­tion­nelle de ques­tions préju­di­cielles. Leur objet : en l’absence de sanc­tions spéci­fiques et de distinc­tion entre le respect des condi­tions maté­rielles (essen­tielles : demande, affec­tion grave et incu­rable, souf­frances inapai­sables) et les condi­tions de forme et de procé­dure, un méde­cin pour­rait se voir repro­cher d’avoir commis un meurtre par empoi­son­ne­ment… pour avoir envoyé sa décla­ra­tion au-delà du délai des quatre jours ouvrables imposé par la loi.

La Cour consti­tu­tion­nelle conclut à l’inconstitutionnalité de la loi eutha­na­sie en l’absence de sanc­tions spéci­fiques et impose au légis­la­teur de prévoir des sanc­tions propor­tion­nelles aux manque­ments commis.
Ce constat d’inconstitutionnalité est sans inci­dence sur la dépé­na­li­sa­tion de l’euthanasie en tant que telle.

La Cour euro­péenne des droits de l'homme a validé la loi rela­tive à l’euthanasie en ses prin­cipes mais elle a invité le légis­la­teur belge à en préci­ser son appli­ca­tion. CC-BY-NC-SA Wiki­me­dia commons

L’affaire Tom Mortier contre l’État belge devant la Cour euro­péenne des droits de l’homme (CEDH)

Il s’agit d’un arrêt fonda­men­tal : en effet pour la première fois, la CEDH avait à se pronon­cer sur l’euthanasie. Une condam­na­tion de la Belgique au nom de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme aurait eu des consé­quences énormes au-delà de notre pays. Et c’était bien la moti­va­tion non seule­ment du requé­rant, Tom Mortier, mais surtout de l’association à laquelle il s’était adressé pour soute­nir sa démarche : ADF Inter­na­tio­nal. Sur le site de cette asso­cia­tion1, se retrouve son objec­tif : « ADF Inter­na­tio­nal est une orga­ni­sa­tion juri­dique confes­sion­nelle qui protège les liber­tés fonda­men­tales et affirme la dignité inhé­rente à toute personne. »

Le requé­rant et ADF Inter­na­tio­nal ont échoué dans leur tenta­tive de mettre à mal la loi belge de dépé­na­li­sa­tion de l’euthanasie. La Cour en effet valide la loi rela­tive à l’euthanasie en ses prin­cipes ainsi que le cas d’espèce, à savoir l’euthanasie de la mère du requé­rant. En revanche, l’État belge est condamné pour une procé­dure trop longue (non contesté) et pour l’apparence d’absence d’indépendance de la Commis­sion de contrôle et d’évaluation de la loi rela­tive à l’euthanasie (CFCEE). Le légis­la­teur devra adop­ter une loi correc­trice. La solu­tion a déjà été suggé­rée : la levée de l’anonymat des décla­ra­tions que les méde­cins doivent adres­ser à la CFCEE dans les quatre jours ouvrables d’une euthanasie.

Bilan de ces deux affaires

Dans les deux cas, les inten­tions des deman­deurs étaient d’attaquer la dépé­na­li­sa­tion de l’euthanasie. À l’arrivée, la loi rela­tive à l’euthanasie reçoit son label de consti­tu­tion­na­lité et de confor­mité à la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme. Il faut certes des lois correc­trices pour les sanc­tions spéci­fiques et la levée de l’anonymat.

Ceci va permettre de conso­li­der la loi rela­tive à l’euthanasie au grand dam des oppo­sants ! Ce n’était certes pas le résul­tat escompté par eux. Mais ne nous leur­rons pas : les attaques vont conti­nuer. Les asso­cia­tions telles que ADF Inter­na­tio­nal, Ordo Iuris, Care not Killing, CEDJ2 ont à leur actif nombre de procé­dures enga­gées contre l’avortement, la recherche sur embryons, les droits des LGBTQ+, l’euthanasie, etc., quand elles ne s’attaquent pas direc­te­ment aux personnes défen­dant ces liber­tés3. Les procé­dures mobi­lisent du temps, de l’énergie, des finances. Les oppo­sants caressent peut-être l’espoir de nous avoir à l’usure. À nous de défendre nos libertés.


  • Jacque­line Herre­mans est égale­ment membre du Comité consul­ta­tif de bioé­thique de Belgique, membre de la Commis­sion d’évaluation et de contrôle de la loi rela­tive à l’euthanasie et vice-prési­dente de la Commis­sion fédé­rale des droits du patient.
  1. ADF Inter­na­tio­nal  a son siège à Vienne, Autriche.
  2. Ces diffé­rentes asso­cia­tions s’étaient portées parties tierces inter­ve­nantes dans l’affaire Mortier c. État belge.
  3. À ce sujet, voir Les croi­sés de la contre-révo­lu­tion, Liberté j’écris ton nom, 2021, Fran­çois Finck
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