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Dominique Lossignol,
interniste à l’Hôpital Ambroise Paré-UMONS
Euthanasie, suicide, souffrance psychique
Il existe dans la narration portant sur l’euthanasie une analogie construite avec le suicide, l’issue étant ontologiquement la même, et traduisant de la sorte une méconnaissance du sujet. Cela est renforcé par le concept de « suicide médicalement assisté » tel qu’il est considéré dans certains cantons suisses. Malgré la loi de 2002, la confusion persiste dans bon nombre de discours et d’aucuns prétendent même qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les deux. C’est évidemment une erreur.
Euthanasie et suicide se distinguent selon quatre éléments, à savoir la temporalité, le choix, la relation et la contextualisation. Concernant la temporalité, l’euthanasie est le plus souvent un acte qui sera posé le plus tard possible, au contraire du suicide qui ne s’envisage pas selon une échéance tardive, mais plus dans l’immédiateté. Le choix de l’euthanasie reste du domaine du possible, selon l’évolution de la situation clinique alors que le suicide est de l’ordre du choix exclusif. L’euthanasie en tant que telle ne peut se concevoir que dans une continuité de relation, avec le médecin, avec l’équipe soignante, avec les proches, contrairement au suicide qui est une rupture de relation avec l’entourage et le monde médical et le contexte dans lequel s’inscrit l’acte est un isolement pour le suicide et un accompagnement structuré, organisé selon un processus d’échanges. Euthanasie et suicide constituent deux processus distincts qui ne peuvent être réduits à l’acte lui-même.
La question est de savoir si parmi les personnes qui se suicident, certains avaient à un moment ou à un autre évoqué l’euthanasie, ou si ceux-ci étaient suivis dans le cadre d’un parcours de soins et quel était le diagnostic posé. À cela, il n’est pas possible de répondre, puisqu’il n’existe aucun registre recensant toutes les tentatives de suicide et les conditions qui y ont conduit. C’est là une autre différence majeure entre suicide et euthanasie, parce que même si on peut supposer que toutes les euthanasies ne sont pas dûment déclarées, il est illusoire d’imaginer que leur nombre soit conséquent, à l’inverse des tentatives de suicide. Si certains médecins considèrent que l’euthanasie ne fait pas partie de leur pratique, sur quoi repose leur argumentation dès qu’un de leurs patients se suicide pour ne pas reconnaître-là un échec majeur de la prise en charge thérapeutique, dans le cadre d’une désespérance sans issue ? Il est bien évident qu’on ne peut empêcher tous les suicides, et le plus souvent on en retarde l’échéance, mais cette issue tragique résonne comme un aveu d’échec.
La question de l’euthanasie pour raison de souffrance psychique reste ouverte avec comme a priori, le fait que cette situation n’est pas concernée par la loi (absence d’affection « grave et incurable »). Pour autant, et sans médicaliser une souffrance existentielle, la médecine ne peut y rester sourde et doit pouvoir aider la personne à appréhender la situation de manière constructive, en faisant intervenir d’autres structures. Cette question est évidemment d’ordre sociétal, une société ayant en quelque sorte la santé mentale qu’elle souhaite, ou qu’elle mérite.
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