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Patrick Jacquemin,
membre actif du Groupe de Recherche et d’Action des Cyclistes Quotidiens (GRACQ).
Mon geste barrière, c’est le vélo !
Si le retour du vélo est amorcé dans les villes européennes depuis quelques années1, la crise sanitaire de la covid-19 a permis d’amplifier la tendance, tout en révélant le manque d’aménagements adaptés. Mais ce regain pour la petite reine peut-il perdurer ou va-t-il s’essouffler une fois les habitudes reprises ?
On connait le rôle joué par la petite reine dans l’émancipation des femmes2 et on observe que le vélo, dans les villes et régions où un réseau cyclable sûr, continu et direct est mis en place, permet de (re)donner une autonomie sur les courtes et moyennes distances aux personnes âgées, aux personnes à mobilité réduite3, aux enfants et aux personnes en situation de précarité.
En plus d’être plébiscité pour son efficacité4 dans les centres-villes, le vélo est aussi connu pour être un des outils les plus adaptés pour réduire les nuisances les plus dénoncées par les citadins à savoir la pollution, le bruit et les problèmes de mobilité.
L’œuf, la poule et la covid
Pourtant malgré ses qualités, le vélo revient de loin ! Il y a quelques années encore, lorsque le mouvement cycliste sollicitait les autorités pour la mise en place d’aménagements dans le cadre de déplacements quotidiens (et non de loisirs), on peut résumer la réponse par : « Nous ferons des aménagements quand il y aura des cyclistes ! »
Si cette question de l’œuf et de la poule traduisait un manque de vision et d’ambition des autorités en matière de politique de mobilité (où c’est bien souvent l’offre en infrastructures qui doit précéder la demande), elle a surtout fait perdre des années. Car si depuis quelques temps, le nombre d’usagers du vélo est en constante augmentation, avec la crise de la covid-19, la demande a largement dépassé l’offre! Les ateliers vélo ne savent pas suivre les demandes, les formations de conduite à vélo sont remplies, les fournisseurs sont régulièrement en rupture de stock et l’achat d’un vélo se fait maintenant sur liste d’attente !
Dans les régions et villes les mieux préparées, des « pistes covid » ou « coronapistes » ont été installées en quelques jours, voire en une nuit. En province de Liège, la réponse a été plus timide. Si on prend le cas de la Ville de Liège, que nous connaissons le mieux, une task force rassemblant les autorités locales et régionales, la SNCB, le TEC, la police et le secteur associatif a permis de mettre en place une dynamique intéressante. En quelques semaines, des aménagements réclamés depuis des années ont été mis en œuvre. Les usagers du vélo profitent maintenant de « rues cyclables », de carrefours munis de panneaux B22/B23 autorisant les cyclistes à passer les feux rouges sous certaines conditions, d’une zone 30 étendue ou d’améliorations dans quelques endroits problématiques.
Par contre, en ce qui concerne le projet le plus efficace et structurant de créer des « coronapistes » traversant le centre-ville depuis les périphéries, la demande initiale des cyclistes, la situation n’avance pas vraiment et l’opportunité d’accompagner un nombre significatif de personnes voulant « changer de mode de déplacement », ne pourra malheureusement pas être saisie.
Le vélo, ne sera pas le grand gagnant post covid !
En tant qu’association cycliste, nous savons que le vélo ne sera pas le grand gagnant « mobilité » de l’ère post covid. En tous cas, pas tout de suite car notre région, notre province, nos villes et villages ne sont pas encore adaptés.
Nous savons pourtant que le potentiel est là ! Pour la seule agglomération liégeoise, plus de 155 000 personnes5 résident en fond de vallée dans un rayon de 10 km du centre-ville. Nous savons aussi, depuis un moment, et le nombre de vélos vendus ces derniers mois le confirme, que la question de l’œuf ou de la poule ne se pose plus : c’est l’offre en infrastructures sécurisées et de qualité pour les cyclistes qui permettra à cette énorme demande potentielle de faire du vélo une véritable solution de déplacements quotidiens pour un grand nombre de personnes. Cette offre dépend cependant presqu’uniquement de choix politiques.
Nous savons aussi que le changement est possible. La mise en place d’une task force en est un exemple. Des villes comme Paris, Grenoble, Bordeaux, La Rochelle, … ont montré que la pratique du vélo n’était pas une question de génétique mais tout simplement, une question d’aménagements. La rue de Rivoli par exemple : située en plein centre de Paris, cette rue a été adaptée et insérée dans un réseau cyclable. Depuis le 1er janvier 2020, ce sont plus d’un million de passages à vélo qui ont été comptabilisés6 ! Inspirant ! ♣♣♣
- Le retour de la bicyclette, Frédéric Héran
https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_retour_de_la_bicyclette-9782707186812.html. - Le vélo, l’invention qui émancipa les femmes, http://www.slate.fr/story/104509/velo-outil-emancipation-femmes
- « Ce ne sont pas les personnes qui sont handicapées, ce sont les villes qui sont inadaptées ». http://www.modacitylife.com/blog/making-space-for-diversity-in-the-urbanist-world
- À Copenhague, ville où le vélo atteint près de 50 % des trajets quotidiens, l’utilisation du vélo est justifiée par ses utilisateurs pour sa rapidité/efficacité (56 %), sa simplicité (37 %), le faible coût (29 %) et pour l’environnement (5 %).
https://www.lemonde.fr/blog/transports/2014/05/09/comment-copenhague-est-devenue-la-capitale-europeenne-du-velo/. - https://www.gracq.org/actualites-du-gracq/pourquoi-le-relief-nest-plus-un-frein-la-pratique-du-velo-liege.
- https://twitter.com/totemrivoli?lang=fr.