• Guénaël Devillet
    Guénaël Devillet
    membre du comité d’organisation du festival Nourrir Liège et directeur du SEGEFA à l’ULiège
Propos recueillis par Isabelle Leplat

Circuits courts : « À Liège, on est en avance ! »

À Liège, les circuits courts en matière d’alimentation ont connu un franc succès durant le confi­ne­ment. Leurs carac­té­ris­tiques : une produc­tion locale, peu, voire pas d’intermédiaires entre produc­teurs et consom­ma­teurs, et des struc­tures rele­vant de l’économie sociale. Guénaël Devil­let revient sur ces questions.

Salut & Frater­nité : Que peut-on dire de l’augmentation de la fréquen­ta­tion des circuits courts pendant le confinement ?

Guénaël Devil­let : Ils ont effec­ti­ve­ment connu un boom durant cette période. Les plus grandes hausses ont été consta­tées au sein de coopé­ra­tives qui assurent une livrai­son en point relais ou à domi­cile. La Coopé­ra­tive ardente, par exemple, a triplé ses commandes et a doublé les jour­nées consa­crées à la livrai­son. Et Hesbi­Coop a reçu l’aide de nombreux béné­voles qui sont venus aider avec leur camionnette.

Ce succès est dû à plusieurs facteurs. Tout d’abord, éviter les contacts avec les autres consom­ma­teurs : faire la file dans de petits espaces satu­rés n’était pas l’idéal. Deuxième élément : l’attention portée à la santé. Se nour­rir de produits sains était une prio­rité en cette période de pandé­mie. Or, toutes ces petites struc­tures vendent des produits issus de modes de produc­tion qui répondent à des critères de l’agriculture biolo­gique, même s’ils n’en possèdent pas la certi­fi­ca­tion (cette dernière coûte en effet assez cher). Enfin, c’était l’occasion de prendre du temps pour tester de nouveaux points de vente. La grande distri­bu­tion est en effet posi­tion­née dans les lieux les plus acces­sibles du terri­toire, ce qui n’est pas le cas de tous les distri­bu­teurs des circuits courts.

Cette hausse de fréquen­ta­tion est retom­bée suite au décon­fi­ne­ment, mais pas entiè­re­ment : de nouveaux clients sont restés fidèles. L’arrivée de l’été a aussi joué : c’est le moment des départs en vacances et il faut comp­ter avec l’ « effet pota­ger », puisque certaines personnes cultivent elles-mêmes une partie de leur nourriture.

De plus, la grande distri­bu­tion essaye égale­ment de s’adapter en utili­sant la tech­nique marke­ting de rassu­rance. Carre­four a, par exemple, beau­coup investi dans la publi­cité sur ses circuits courts, alors qu’en réalité, ils n’ont que très peu de rayons consa­crés aux marchan­dises qui en proviennent. 

S&F : Comment faire en sorte que ce succès des circuits courts perdure ?

G.D. : La demande des consom­ma­teurs existe bel et bien. Pour la satis­faire, augmen­ter la produc­tion est la clé. Mais ça ne se fait pas du jour au lende­main : il faut la plani­fier sur un an ou deux. C’est la loi de l’offre et de la demande, avec une réponse de la part des produc­teurs qui dépend des saisons. Un exemple de futur projet qui demande une plani­fi­ca­tion : la Cein­ture Aliment-Terre Liégeoise (CATL) et les cantines du Valdor travaillent de concert pour four­nir des légumes locaux à ces dernières.

En région liégeoise, cette dyna­mique des circuits courts a clai­re­ment été impul­sée par le milieu asso­cia­tif coor­donné par la CATL qui existe depuis 2013. Les quatre grands distri­bu­teurs en la matière – les Petits Produc­teurs, Hesbi­Coop, la Coopé­ra­tive ardente et Point Ferme – sont des coopé­ra­tives : elles permettent aux travailleurs de parti­ci­per aux déci­sions et aux consom­ma­teurs d’intervenir dans le capi­tal. Ces mouve­ments tirent l’ensemble vers le haut. Aujourd’hui, les pouvoirs publics s’inscrivent eux aussi dans cette dynamique.

Cepen­dant, le manque de produc­tion dédiée aux circuits courts se fait sentir. Le prin­ci­pal problème se trouve dans l’accès à la terre. Quelques initia­tives pour le faci­li­ter existent, comme par exemple l’appel à projet CREa­FARM : la Ville de Liège met certains de ses terrains culti­vables à dispo­si­tion de maraî­chers et de produc­teurs. 

Il s’agit ensuite de trou­ver un équi­libre entre un prix respec­tant le produc­teur et un prix raison­nable pour le consom­ma­teur. Certains maraî­chers vivent sous le seuil de pauvreté parce qu’ils vendent leur produc­tion à très bas prix. Certains maga­sins bio vendent des produits qui ne proviennent pas de circuits courts dans le sens où il y a plusieurs inter­mé­diaires, et notam­ment des gros­sistes. Au final, le prix des légumes vendus au client est élevé. 

Cela dit, d’une manière géné­rale, les villes de Wallo­nie commencent à bouger et les projets mûrissent. La popu­la­tion est de plus en plus sensi­bi­li­sée, notam­ment grâce à des films comme Demain et sa suite, Après demain, dans lequel la Cein­ture Aliment-Terre liégeoise est citée en exemple. D’ailleurs, l’anglais Rob Hopkins, qui a lancé le mouve­ment des villes en tran­si­tion, parle des initia­tives liégeoises dans ses confé­rences. À Liège, on est en avance ! ♣♣♣


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