• Bruno Humbeeck
    Bruno Humbeeck
    psychopédagogue et docteur en Sciences de l’Éducation
Propos recueillis par Charlotte Collot

Faut-il réinventer l'école?

La crise de la covid-19 et le confi­ne­ment ont eu un impact indé­niable sur l’enseignement et sur les élèves. Décro­chage scolaire, isole­ment, frac­ture numé­rique, autant de réali­tés qui se sont accen­tuées durant cette période. Comment rebon­dir posi­ti­ve­ment et envi­sa­ger l’avenir de l’école ? Bruno Humbeeck vient de publier un livre Les leçons de la pandé­mie, réin­ven­ter l’école ? Il nous livre quelques pistes concrètes.

Salut & Frater­nité : L’arrêt brutal de l’école pendant presque six mois a‑t-il changé le regard que l’on porte sur celle-ci, sur son rôle et ses missions ? 

Bruno Humbeeck : C’est pire qu’un arrêt. C’est une dispa­ri­tion de l’école. L’école s’est arrê­tée sans program­mer de retour précis. On s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas impro­vi­ser. L’école à la maison, la conti­nuité péda­go­gique, ça n’a pas du tout fonc­tionné. Il y a eu une prise de conscience géné­ra­li­sée de ce qu’était le métier d’enseignant. De manière géné­rale, les parents n’ont pas su faire face à cette dispa­ri­tion de l’école. Cette situa­tion a créé, pour beau­coup, une angoisse mais pour d’autres un soula­ge­ment, notam­ment pour ceux qui connaissent des situa­tions scolaires diffi­ciles soit au niveau de l’apprentissage soit au niveau de l’intégration dans les groupes. Le confi­ne­ment a eu l’effet d’une loupe sur les inéga­li­tés scolaires. Son arrêt brutal a permis une prise de conscience : l’école est néces­saire mais doit chan­ger de forme, s’adapter aux chan­ge­ments de nos socié­tés. Il ne s’agit pas de réin­ven­ter complè­te­ment l’école mais d’accélérer son évolution.

S&F : Concrè­te­ment, quelles sont vos propo­si­tions pour réin­ven­ter l’école ? 

B.H. : Il faut clai­re­ment aller vers des classes flexibles, c’est-à-dire des classes qui permettent de multi­plier, d’alterner les modèles péda­go­giques. Le modèle d’enseignement simul­tané, c’est-à-dire un ensei­gnant face à des élèves mis en situa­tion de l’écouter avec une confi­gu­ra­tion de classe qu’on appelle « banc auto­bus », est complè­te­ment obso­lète. Réduire le présen­tiel, travailler par bulle de 12, est beau­coup plus effi­cace, notam­ment pour ceux qui ont plus de peine à s’intégrer dans des groupes, à prendre la parole, à poser des ques­tions et à inter­agir avec les autres. Le vrai rôle de l’enseignant, c’est de favo­ri­ser les inter­ac­tions d’apprentissage à l’intérieur du groupe et de faire en sorte que l’apprentissage donné pour tous profite à chacun. 

Une propo­si­tion concrète est la péda­go­gie inver­sée. Les devoirs, on ne les fait plus après, mais avant. Le seul devoir, c’est de prendre connais­sance de ce dont on va parler en classe soit via une capsule numé­rique, soit via un petit texte par exemple. Ensuite, on vient en classe pour en discu­ter et poser les ques­tions par rapport à ce qu’on ne comprend pas et/ou ce qu’on veut voir expli­quer de manière plus précise. La péda­go­gie inver­sée, c’est valo­ri­ser le fait de poser des ques­tions. Elle permet d’éviter un problème que connait l’enseignement : la répé­ti­tion du même.

Une autre propo­si­tion est bien sûr de réduire la frac­ture numé­rique. Par exemple, réduire le présen­tiel devant l’enseignant et le modi­fier par un présen­tiel en classe dans lequel l’ordinateur est mis à dispo­si­tion de tous. 

Je travaille aussi depuis très long­temps sur la mise en place de cours de récréa­tion qui corres­pondent réel­le­ment à ce que les élèves et les ensei­gnants attendent, c’est-à-dire des cours régu­lées (chacun s’y trouve à sa place), apai­sées et stimu­lées (y trou­ver du plai­sir). 

Nous devons accep­ter un niveau d’incertitude et ne plus « brico­ler » les écoles comme on a pu le voir dans ce mouve­ment de panique. L’enseignement doit aller vers plus de souplesse et moins de bruta­lité. Ce que j’appelle des péda­go­gies douces.

S&F : Toutes ces propo­si­tions sont-elles compa­tibles avec l’orientation prise par le Pacte pour un ensei­gne­ment d’excellence ?

B.H. : Tout à fait ! Aucune des propo­si­tions que vous trou­ve­rez dans le livre n’est en contra­dic­tion avec le Pacte pour un ensei­gne­ment d’excellence. Lors de cette rentrée de septembre, j’ai trouvé très appré­ciable la volonté de reprendre les matières sans bruta­lité, de manière progres­sive et diluée dans le temps (on ne rattrape pas les matières) et le souci d’évaluer non pas collec­ti­ve­ment mais indi­vi­duel­le­ment. Amener à des formes d’autoévaluation, c’est-à-dire des évalua­tions qui ne sont plus certi­fi­ca­tives mais bien forma­tives et diag­nos­tiques. Ce sont des indices très posi­tifs qui sont soute­nus par les inten­tions poli­tiques actuelles et par le Pacte pour un ensei­gne­ment d’excellence. Ce dernier ne doit pas être remis en ques­tion dans ses prin­cipes. Mais il est urgent de donner les moyens et surtout de diffu­ser des tech­niques pour que les ensei­gnants puissent acti­ver concrè­te­ment dans leur classe ce qui est prévu dans celui-ci. Sinon il restera un modèle théo­rique du désirable. ♣♣♣

Jeune garçon installé à son bureau en classe qui sourit
Après l’improvisation du monde de l’enseignement pendant le confi­ne­ment,
le besoin de voir ce monde évoluer est devenu une évidence dans de nombreux milieux.
© Jeswin Thomas – unsplash​.org
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