• Michel Sylin
    Michel Sylin
    professeur de psychologie des organisations à l’Université libre de Bruxelles

Après la covid-19, travailler autrement ?

Travailler… Cette pratique sociale qui nous four­nit les moyens de notre éman­ci­pa­tion, qui crée du lien, qui nous donne du sens, qui nous construit. Mais aussi, cette pratique sociale qui nous aliène, qui nous stresse, qui nous fait souf­frir, qui nous meur­trit… Les effets psycho­lo­giques du travail sont innom­brables, parfois posi­tifs, parfois néga­tifs, souvent les deux en même temps. Ces effets psycho­lo­giques sont de plus en plus impor­tants et la ques­tion des risques psycho­so­ciaux prend un poids de plus en plus central dans nos réali­tés professionnelles.

Puis survient cette crise sani­taire en mars 2020. Un confi­ne­ment jamais connu sous cette forme. Et ses effets contra­dic­toires sur notre rapport au travail. L’occasion d’expériences nouvelles. L’occasion de ques­tion­ne­ments. 

Petit à petit, la vie s’organise. Dans la plupart des cas, le travail est à l’arrêt. Chez d’autres, nombreux, le télé­tra­vail s’installe. Là où il était absent, il appa­raît. Là où il était margi­nal, il devient omni­pré­sent. 

C’est l’occasion de consta­ter que le télé­tra­vail, c’est aussi le travail sans limites. On observe ainsi une désa­cra­li­sa­tion de la sphère privée mais aussi de la sphère profes­sion­nelle. Le travail s’invite à la maison et la famille, les enfants s’invitent dans la sphère profes­sion­nelle. Nous n’avons plus le senti­ment de maîtri­ser les fron­tières qui struc­turent habi­tuel­le­ment ces espaces. 

Les condi­tions du confi­ne­ment exacerbent toutes les inéga­li­tés. Et si nous avons souvent des diffi­cul­tés à maîtri­ser les fron­tières entre les sphères fami­liales et profes­sion­nelles, nous ne maîtri­sons plus aisé­ment non plus le temps de travail. 

Dans cette pers­pec­tive, le télé­tra­vail rend le travail plus effi­cient. On est moins dérangé par les collègues, les réunions sont plus courtes… Le gain de temps lié à la suppres­sion des navettes et des dépla­ce­ments est consi­dé­rable. Le travail est main­te­nant moins consom­ma­teur de temps. Nous avons tendance à travailler à notre rythme, et en fonc­tion des demandes de notre envi­ron­ne­ment de travail. Bien sûr, entre deux réunions, on peut étendre son linge propre pour le faire sécher. Mais aussi, après le souper, on peut rédi­ger ce rapport qui devrait déjà être expé­dié. Inci­dem­ment, comme les nénu­phars sur un étang, le travail enva­hit l’espace. 

Les sphères profes­sion­nelles et fami­liales, les tempo­ra­li­tés du travail sont deux dimen­sions forte­ment impac­tées par la crise sani­taire que nous vivons. Il y en a bien d’autres. Pour le meilleur mais aussi pour le pire. 

Main­te­nant tout est possible. Soit rien ne change. L’organisation du travail se restruc­ture quasi à l’identique de ce que nous connais­sions avant le mois de mars. Nous accom­mo­de­rons à nos pratiques quelques appren­tis­sages surve­nus lors de la crise. C’est probable. Soit nous profi­tons de cette situa­tion pour repen­ser le travail et notre rapport au travail. Pourvu que nous ne rete­nions que le meilleur et non le pire.

À nous de déci­der… ensemble. ♣♣♣

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