• Ghislaine Julémont
    Ghislaine Julémont
    sociologue

Construire sa vie comme on l'entend, un droit qui reste à défendre

(texte réduit)

DUDH

Article 16

1. À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

2. Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux.

3. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État.

Nul ne peut nier que les struc­tures fami­liales ont subi une révo­lu­tion au cours de ces cinquante dernières années. Grâce au combat sécu­laire des laïques contre l’omnipotence de la famille sur la vie de ses membres, en parti­cu­lier, des femmes et des enfants, un vent nouveau souffle sur les rela­tions fami­liales et les rapports de force entre les sexes et les âges s’en trouvent bouleversés.Il serait malaisé d’aborder les acquis de ce combat et ce qu’il reste à faire dans le cadre restreint de cet article. Aussi se limi­tera-t-on à deux domaines. Le premier concerne les liber­tés acquises en matière de mariage et de procréa­tion. Le second a trait aux inter­fé­rences entre vie profes­sion­nelle et vie fami­liale, qui entravent la libre déci­sion de chacun en la matière.

La libre déci­sion de se marier et d’avoir des enfants

La léga­li­sa­tion progres­sive de l’égalité des sexes dans le mariage, enta­mée dans les années trente, et la libé­ra­li­sa­tion des mœurs qui l’a accom­pa­gnée au tour­nant des années cinquante, ont favo­risé les avan­cées vers une plus grande auto­no­mie des personnes en ce qui concerne le choix du parte­naire ainsi que ceux de se marier ou non, d’avoir des enfants ou non, et de divor­cer ou de se sépa­rer en cas de mésentente.

Le tableau des acquis paraî­trait idyl­lique s’il ne faisait l’impasse sur la situa­tion nette­ment moins favo­rable de tous les lais­sés-pour-compte des progrès engran­gés et s’il n’omettait d’attirer l’attention sur les menaces qui conti­nuent de peser sur ces derniers. Quelques faits divers drama­tiques récents ont mis au jour une réalité où mariages forcés, violences liées à l’honneur et autres atteintes aux droits et liber­tés indi­vi­duels et à l’autonomie de déci­sion sont encore trop souvent le lot des femmes dans certaines mino­ri­tés cultu­relles, là où le droit reli­gieux ou coutu­mier reste la règle.

Le monde laïque doit se mobi­li­ser et prendre toute sa place dans le débat sur la poli­tique fami­liale car l’avenir des droits et liber­tés indi­vi­duels chère­ment conquis en est rede­venu l’un des enjeux majeurs.

Du côté légis­la­tif, deux propo­si­tions de loi1 ont été dépo­sées pour tenter de remé­dier aux atteintes les plus graves aux liber­tés indi­vi­duelles. Pour­tant, si l’on veut combler le fossé cultu­rel qui main­tient des mino­ri­tés à l’écart de notre État de droit, il est indis­pen­sable que les mesures cura­tives préco­ni­sées dans ces propo­si­tions soient accom­pa­gnées de mesures préven­tives. Les experts recom­mandent en prio­rité d’éduquer les enfants à l’égalité des sexes dès la mater­nelle et à la sexua­lité dès le fonda­men­tal. Mais ils insistent aussi sur la néces­sité d’alphabétiser les adultes pour briser leur isole­ment et leur ouvrir d’autres hori­zons porteurs de nouveaux repères. Parmi les autres menaces qui pèsent sur les acquis en matière de droits des femmes, la relance de la fécon­dité voulue par les instances euro­péennes pour rele­ver le défi démo­gra­phique auquel l’Union doit faire face, est un bon exemple. Jusqu’à présent, l’accent est mis avant tout sur ce qui pour­rait inci­ter les femmes à « faire » plus d’enfants. La pour­suite de cet objec­tif risque fort de se traduire par la mise en place de mesures qui renfor­ce­ront les rôles tradi­tion­nels des hommes et des femmes et, par le fait même, l’inégalité des sexes sur le marché du travail et dans la famille, si elle ne s’accompagne d’un déve­lop­pe­ment accé­léré des struc­tures d’accueil.

Le monde laïque doit se mobi­li­ser et prendre toute sa place dans le débat sur la poli­tique fami­liale car l’avenir des droits et liber­tés indi­vi­duels chère­ment conquis en est rede­venu l’un des enjeux majeurs.

Les inter­fé­rences du droit au travail et du droit à la famille

La présence du monde laïque dans ce débat est d’autant plus indis­pen­sable que l’égalité paren­tale peine à s’imposer dans le droit social et dans le monde du travail. L’inégalité des condi­tions mascu­line et fémi­nine perdure en dépit de toutes les mesures prises et à cause de celles qu’on se refuse à prendre. Le congé de pater­nité reste, par exemple, le grand oublié des réformes envi­sa­gées par la Commis­sion euro­péenne pour aider les parents à récon­ci­lier leur vie profes­sion­nelle et fami­liale, ce qui ne peut que renfor­cer l’inégalité profes­sion­nelle des femmes et l’inégalité paren­tale des hommes. Il est dès lors urgent d’agir pour que chacun puisse déci­der libre­ment de son mode de vie familial.
Là encore, le système éduca­tif et l’information repré­sentent les clés à utili­ser pour faire passer le message d’un partage plus égali­taire et moins sexué des tâches. Y adhé­rer appa­raît primor­dial pour garan­tir l’autonomie de déci­sion de chacun chère à Fran­cisco Ferrer.


  1. La propo­si­tion de loi 379 concerne les violences liées à l’honneur et la 727 a trait aux modi­fi­ca­tions à appor­ter au Code pénal pour que le mariage civil soit auto­ma­ti­que­ment frappé de nullité en cas de mariage forcé.
Octobre 2009 - N°67

Publié dans Salut & Fraternité n° 67, Francisco Ferrer, précurseur des grands combats laïques, octobre - novembre - décembre 2009, p.4

Irma Bindelle
Présidente (1998-2000)

Droit de choisir sa vie : entre combats inachevés et vigilance

La laïcité défend le droit pour chacun de construire sa vie et de la vivre comme il l’entend ainsi que la liberté de disposer de son corps. En la matière, le monde laïque a connu de belles victoires : la dépénalisation partielle de l’avortement, la légalisation de l’euthanasie, le mariage entre personnes du même sexe et la procréation médicalement assistée. Pourtant il y a encore du travail ! Les régressions nous guettent. C’est le cas avec l’avortement et l’euthanasie qui sont sans cesse l’objet d’attaques de la part de groupes de pression religieux. Dans les plannings, par exemple, ils sentent bien le poids de la religion. De même, il y a aussi le non-respect de demandes anticipées d’euthanasie. Il faut sans cesse rester vigilant pour conserver ces droits durement acquis !

Je pense aussi que les politiques d’austérité instaurées par notre gouvernement constituent un sacré frein au choix de vie : quand je vois une famille qui dort dans sa voiture parce qu’elle n’a plus de logement, je doute qu’elle ait choisi ce mode de vie ! Il y a là une violence économique indéniable.

J’étais présidente en l’an 2000 ; c’était symbolique, une femme à la présidence au tournant du siècle ! J’ai vu de près la création et le développement de l’implantation de Seraing du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège, qui a connu un essor considérable. Nous étions présents dans un quartier en déshérence et le travail de l’équipe a été (et est toujours) remarquable : il s’agissait de travailler avec les habitants sur la citoyenneté et le droit de choisir sa vie. C’est toujours le cas à l’heure actuelle. Des groupes de parole font se parler des personnes de tous âges qui peu à peu se livrent sur eux-mêmes et échangent leurs expériences.

D’ailleurs j’aime beaucoup cette citation de Condorcet : « Offrir à tous les individus de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d’assurer leur bien-être, de connaître et d’exercer leurs droits, (…) ». Elle résume bien ma vision de la laïcité.

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