• Marc Nève
    Marc Nève
    avocat, responsable de la Commission Prisons et justice pénale de la Ligue des Droits de l’Homme

Parler des prisons

(texte réduit)

DUDH

Article 5

Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Voici trois ans à peine, Albert Jacquard, géné­ti­cien mais surtout huma­niste fron­deur, publiait dans l’étonnante collec­tion Point-Virgule un petit livre inti­tulé Un monde sans prisons ? Au départ, une inter­ro­ga­tion « Comment accep­ter sans réagir une société qui croit résoudre ses contra­dic­tions en enfer­mant et surtout en oubliant ceux qui menacent sa quié­tude ? » À l’arrivée, un essai déca­pant qui passe au crible « une insti­tu­tion qui a une présence si évidente dans notre société que nous ne nous posons plus la ques­tion de sa justification ».


Il y a quinze ou vingt ans, ce livre aurait fait date. Dans la foulée des nombreuses publi­ca­tions de l’époque, l’époque où Michel Foucault publiait son magis­tral ouvrage Surveiller et punir, un essai de cette trempe aurait imman­qua­ble­ment contri­bué à alimen­ter le débat à propos de la prison. Aujourd’hui, il est cepen­dant passé presque inaperçu.

(…) alimen­ter un débat démo­cra­tique sur les condi­tions dans lesquelles la société punit, sur la façon dont s’exprime le droit de punir est indispensable

II est vrai que plus encore aujourd’hui qu’hier, certaines idées reçues à ce propos paraissent bien ancrées. « Ils ont des prisons modèles, ils sont nour­ris et blan­chis, on leur donne la télé, s’ils ne sont pas contents, y’a qu’à les zigouiller. » Et la prison que l’on a tant décrite sur le point d’exploser, est toujours là, fût-ce en piteux état.

D’où à l’heure actuelle, « le désar­roi des esprits réfor­mistes et le silence qui pèse sur une insti­tu­tion dont on parle d’autant plus rare­ment que l’on ne sait plus trop quoi en dire et que l’on s’est habi­tué à sa dérive1 ».

(…) Décrire la prison, dire la prison, est essen­tiel. À l’instar de la démarche d’Albert Jacquard, (…) alimen­ter un débat démo­cra­tique sur les condi­tions dans lesquelles la société punit, sur la façon dont s’exprime le droit de punir est indis­pen­sable. Ce débat doit être permanent.

Du reste, à bref délai, il sera évoqué dans le cadre des projets gouver­ne­men­taux visant d’une part à abolir la peine de mort et d’autre part à intro­duire des peines dites incom­pres­sibles. Ne perdra-t-on pas de vue à ce moment-là que « l’emprisonnement tient une place de plus en plus centrale et coûteuse dans le dispo­si­tif répres­sif des socié­tés occi­den­tales2 » et que pour une écra­sante majo­rité de déte­nus, la prison n’est en fait qu’une machine à exclure une popu­la­tion à faible niveau de forma­tion et aux problèmes psycho­so­ciaux majeurs ?

(…) pour une écra­sante majo­rité de déte­nus, la prison n’est en fait qu’une machine à exclure une popu­la­tion à faible niveau de forma­tion et aux problèmes psycho­so­ciaux majeurs

Par ailleurs, sommes-nous suffi­sam­ment conscients que la justice pénale loin d’être « laxiste », enferme toujours plus et pour toujours plus longtemps ?

À l’évidence, face à une dyna­mique sécu­ri­taire qui ne donne lieu à aucun débat poli­tique argu­menté, un travail de réflexion à propos des prisons paraît tout à fait essentiel. (…)


  1. Olivier Mongin, « Prisons à la dérive », Revue Esprit, octobre1995, p. 101.
  2. Jean-Paul Jean, « L’inflation carcé­rale », Revue Esprit, octobre1995, p.117.
Mars 1996

Article publié dans Salut & Fraternité n° 16, Tout près d’ici, nos prisons…, 31 mars 1996, p. 1.

Bernadette Rasquin
Présidente (2012-2014)

Soigner et réinsérer plutôt qu’enfermer à vie

Ce texte est, malheureusement, toujours d’actualité. Le fonctionnement actuel de la prison ne lui permet pas de remplir sa mission. Le but ne devrait pas seulement être de maintenir les individus dangereux à l’écart de la société, mais de les réinsérer. Enfermer les gens sans les former, sans les soigner ou les aider à changer, c’est inefficace, on le sait. Pour donner envie d’aimer le monde, il faut en montrer les aspects les plus beaux ! Traiter des gens, même dangereux, comme des monstres et les enfermer dans un milieu violent les rend juste plus monstrueux.

Je suis favorable à des modèles carcéraux comme il en existe dans les pays scandinaves. Des lieux orientés vers la véritable réinsertion, où les prisonniers apprennent de vrais métiers, travaillent la terre ou le bois,
participent à de vrais ateliers de formation, ont accès à la culture… C’est important de leur montrer  d’autres facettes de la société, et de leur donner des mots pour s’exprimer.

Et c’est sans parler de l’absence d’attention psychiatrique. Je repense au cas de cette jeune liégeoise, assassinée par son voisin. C’était un récidiviste : cet homme est clairement malade. Si l’on veut le réinsérer, et pas l’enfermer à vie, il faut le soigner ! Mais le nombre de psychiatres dans les prisons est négligeable, et il n’y pas de place dans les centres psychiatriques fermés pour soigner les gens dangereux.

Et des gens dangereux, je pense, il y en aura de plus en plus. Notre société est de plus en plus violente, elle laisse de plus en plus de gens de côté, elle rejette de plus en plus de personnes. Ce genre de fonctionnement a des conséquences désastreuses. Le fossé va s’agrandir. Or la réponse semble aujourd’hui « construire de plus en plus de prisons », et l’on sait que cette réponse est inefficace.

< Retour au sommaire