• Henri Pena-Ruiz
    Henri Pena-Ruiz
    philosophe

La laïcité : principes et définition

(texte réduit)

DUDH

Article 18

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.

La laïcité est un prin­cipe de droit poli­tique. Elle recouvre un idéal univer­sa­liste d’organisation de la cité et le dispo­si­tif juri­dique qui tout à la fois se fonde sur lui et le réalise.

Le mot qui désigne le prin­cipe, laïcité, fait réfé­rence à l’unité du peuple, en grec le laos, telle qu’elle se comprend dès lors qu’elle se fonde sur trois exigences indis­so­ciables : la liberté de conscience, l’égalité de tous les citoyens quelles que soient leurs convic­tions ou leurs options spiri­tuelles, et la visée de l’intérêt géné­ral, du bien commun à tous, comme seule raison d’être de l’État. La laïcité consiste à affran­chir l’ensemble de la sphère publique de toute emprise exer­cée au nom d’une reli­gion ou d’une idéo­lo­gie parti­cu­lière. Elle préserve ainsi l’espace public de tout morcel­le­ment pluri­con­fes­sion­nel ou commu­nau­ta­riste, afin que tous les hommes puissent à la fois s’y recon­naître et s’y retrou­ver. Cette neutra­lité confes­sion­nelle se fonde donc sur des valeurs clai­re­ment affi­chées et assu­mées : l’État laïque n’est pas indif­fé­rent aux valeurs, puisqu’il incarne le choix simul­tané de la liberté de conscience et de l’égalité, et de l’universalité qui lui permet d’accueillir tous les êtres humains, sans privi­lège aucun accordé à un parti­cu­la­risme. Par le truche­ment de l’école laïque, cette liberté de conscience et cette égalité reçoivent la garan­tie fonda­trice d’une instruc­tion soucieuse d’émanciper le juge­ment. Il s’agit pour cela de lui donner les réfé­rences cultu­relles qui l’affranchissent des puis­sances idéo­lo­giques domi­nantes et de leur emprise média­tique. L’autonomie de juge­ment et le pari sur l’intelligence consti­tuent des valeurs déci­sives de la laïcité.

La laïcité est un idéal qui vise à permettre aux personnes de vivre ensemble et de construire une société commune dans le respect des diffé­rences. © IStock­Photo – A lot oh photo

Le souci d’un espace commun aux hommes par-delà leurs diffé­rences est compa­tible avec celles-ci pourvu que leur régime d’affirmation ne porte pas atteinte à la loi commune, qui rend juste­ment possible leur coexis­tence et condi­tionne ainsi la paix. Le « droit à la diffé­rence » ne peut être confondu avec la diffé­rence des droits. La loi de sépa­ra­tion de l’État et des Églises est le dispo­si­tif juri­dique consti­tu­tif de la laïcité insti­tu­tion­nelle, car elle seule garan­tit non seule­ment la liberté de conscience mais aussi la stricte égalité des divers croyants, des athées, et des agnos­tiques. Les hommes se distri­buant aujourd’hui selon ces trois types d’options spiri­tuelles, le prin­cipe laïque d’égalité est incom­pa­tible avec la moindre discri­mi­na­tion posi­tive ou néga­tive appli­quée à la figure athée ou reli­gieuse de la convic­tion spiri­tuelle. L’invocation de la culture ou de la tradi­tion, ou de facteurs suppo­sés d’« iden­tité collec­tive » pour remettre en cause cette égalité en consa­crant publi­que­ment une option spiri­tuelle plutôt qu’une autre serait illé­gi­time. Elle revien­drait à priva­ti­ser la sphère publique, tout en faisant violence à la sphère privée de ceux qui ne joui­raient pas d’un tel privi­lège, dès lors que leur option spiri­tuelle propre aurait un statut infé­rieur. Carac­tère acon­fes­sion­nel de la sphère publique et égalité dans la libre jouis­sance de la sphère privée sont en l’occurrence soli­daires. La répu­blique laïque ne recon­naît pas d’autre sujet de droit que l’individu, seul habi­lité à choi­sir ses réfé­rences spirituelles.

(…) l’État laïque n’est pas indif­fé­rent aux valeurs, puisqu’il incarne le choix simul­tané de la liberté de conscience et de l’égalité, et de l’universalité qui lui permet d’accueillir tous les êtres humains, sans privi­lège aucun accordé à un particularisme.

La laïcité exclut par consé­quent tout privi­lège public accordé soit à la reli­gion, soit à l’athéisme. Cette absten­tion, ou neutra­lité (du latin neuter : « ni l’un ni l’autre »), situe l’État, commu­nauté de citoyens, hors de toute emprise confes­sion­nelle. L’autolimitation de l’État, qui n’est plus arbitre des croyances, libère la sphère privée dans le champ éthique et spiri­tuel. Marianne, la Répu­blique démo­cra­tique et laïque, ne ressemble pas à César, pouvoir tradi­tion­nel de domi­na­tion qui instru­men­ta­lise le cas échéant la reli­gion tout en lui assu­rant le statut d’un credo obligé. La laïcité est un idéal dont l’originalité est qu’il permet à tous, croyants et athées, de vivre ensemble sans que les uns ou les autres soient stig­ma­ti­sés en raison de leurs convic­tions parti­cu­lières. Sa raison d’être consiste à promou­voir ce qui est commun à tous les hommes, non à certains d’entre eux. Elle n’est pas une nouvelle reli­gion sécu­lière, ni une option spiri­tuelle parmi d’autres, mais la condi­tion de possi­bi­lité d’une coexis­tence des divers croyants et des athées sur la base de la stricte égalité des droits.

Septembre 2002 - n°42

Publié dans Salut & Fraternité n° 42, Demain s’imagine aujourd’hui, 30 septembre 2002, p.2.

Irma Bindelle
Présidente (1998-2000)

Cap sur l’inscription de la laïcité dans la Constitution

J’aime beaucoup Henri Pena-Ruiz, un grand monsieur de la laïcité française qui, comme chacun le sait, n’est pas vraiment la même que la nôtre. Si la France est une République laïque (article premier de la Constitution), chez nous, en Belgique, la laïcité a pris une autre voie impulsée par le Centre d’Action Laïque. Les présidents successifs ont chacun marqué le mouvement de leur empreinte : Philippe Grollet a longuement milité pour la reconnaissance de la laïcité et son financement. Pierre Galand a donné une dimension plus sociale et internationale et Henri Bartholomeeusen, avec la nouvelle définition, a ouvert la laïcité au plus grand nombre. Je souhaite de tout cœur que cette dernière constitue un levier pour que la laïcité soit inscrite dans la Constitution belge. Et pourtant, transmettre des éclaircissements à ce propos à nos associations n’a pas toujours été aisé. Il y a encore un travail à faire pour expliquer la démarche ainsi que ses tenants et aboutissants.

Henri Pena-Ruiz explique par ailleurs que chacun a le droit de choisir sa référence spirituelle (ou pas), et je le rejoins : je suis favorable au respect de tous, religieux ou pas. L’inscription de la laïcité dans la Constitution nous donnerait également beaucoup plus de force pour défendre la neutralité de l’État, ce qui pourrait aussi donner un appui au travail des associations laïques présentes sur le terrain. Par ailleurs, cette potentielle inscription donnerait aussi du poids à la défense de l’école officielle. Cette bataille est loin d’être gagnée.

Cela dit, la loi de la reconnaissance de la laïcité a été une belle victoire ! C’était l’aboutissement d’un combat et j’en ai été très heureuse ! Nous avions longuement milité en ce sens. Maintenant, cap sur l’inscription de la laïcité dans le Constitution, avec, parallèlement un travail d’information envers nos militants.

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