• Didier Vrancken
    Didier Vrancken
    vice-recteur à la citoyenneté et directeur de la Maison des Sciences de l’Homme

Des savoirs en mouvement, à l’épreuve d’une société en changement

Pour tenter de comprendre comment les savoirs sont aujourd’hui de plus en plus solli­ci­tés, mobi­li­sés, mis en mouve­ment, on peut adop­ter un point de vue autre que celui insis­tant sur la globa­li­sa­tion, la mondia­li­sa­tion de l’économie ou encore la libé­ra­li­sa­tion des marchés.

Dépla­cer, en somme, la focale et porter atten­tion aux muta­tions en cours au sein même des lieux de produc­tion de ces savoirs : les univer­si­tés. Ainsi que je l’ai montré avec Rachel Brahy dans la revue Déri­va­tions (n° 2, mars 2016), en quelques années, le paysage univer­si­taire a complè­te­ment évolué. À l’université struc­tu­rée autour de disci­plines et de savants travaillant seuls ou en très petits comi­tés, a succédé une univer­sité plus flexible, poly­cen­trique, inter­na­tio­nale, appuyée sur une recherche de décloi­son­ne­ment et la mise sur pied de vastes regrou­pe­ments et d’unités de recherche. Une telle stra­té­gie se déploie en accord avec les évolu­tions des grands orga­nismes de finan­ce­ment de la recherche qui en appellent à la mutua­li­sa­tion et au croi­se­ment des approches. Les rassem­ble­ments insti­tu­tion­nels se voient encou­ra­gés, les attaches disci­pli­naires tradi­tion­nelles litté­ra­le­ment bous­cu­lées. À l’heure des appels d’offres inter­na­tio­naux, des invi­ta­tions à la compa­rai­son inter­na­tio­nale, la recherche ne se pense plus unique­ment à l’intérieur de terri­toires disci­pli­naires, insti­tu­tion­nels ou natio­naux deve­nus désor­mais trop étroits. Les fron­tières soli­de­ment établies se déplacent et laissent entre­voir d’amples mouve­ments de recom­po­si­tion actuel­le­ment en cours autour de nouveaux objets et de domaines de recherche.

Les univer­si­tés deviennent plus flexibles, poly­cen­triques, inter­na­tio­nales et elles se regroupent autour de nouveaux objets de recherche. © Flickr​.com – Oregon State University

Face à de telles évolu­tions, les savoirs débordent litté­ra­le­ment de leurs contextes. Ils sont produits au-delà des fron­tières, par-delà les limites disci­pli­naires. Et si les savoirs débordent, c’est qu’ils circulent. Et s’ils circulent, c’est qu’ils entraînent égale­ment dans leur sillage des parte­naires exté­rieurs tels que les entre­prises, les centres de forma­tion, les services publics mais encore les asso­cia­tions de la société civile, les Hautes Écoles et les citoyens. Plus que jamais, les savoirs sont appe­lés à circu­ler, à épou­ser des dyna­miques de réseau, à entrer en dialogue mais égale­ment – insis­tons sur l’idée – à entrer en tension, voire en fric­tion constante avec la société et les citoyens. En effet, s’ils circulent, ces savoirs tech­niques, bio-médi­caux, envi­ron­ne­men­taux, clima­tiques, écono­miques, sociaux, finan­ciers, histo­riques et autres posent véri­ta­ble­ment ques­tion. Ils produisent des effets sur la vie même des citoyens, des patients, des usagers, dès lors qu’il s’agit de leur vie, de leur santé, de leur épargne, de leur terri­toire qui, tous, se retrouvent enga­gés et direc­te­ment concer­nés par ces mêmes savoirs. Et ces derniers de se retrou­ver désor­mais mis en ques­tion, débat­tus, criti­qués avec les poli­tiques, avec les experts mais aussi avec les citoyens qui pensent, réflé­chissent, agissent et produisent eux-mêmes des connais­sances ancrées sur les situa­tions qu’ils vivent. C’est dans ce creu­set, celui d’une société des savoirs et des services – pour reprendre une formule éculée – que doit se penser, se prépa­rer et s’opérer ce dialogue autour de la produc­tion des connaissances.

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