• Eric Favey
    Eric Favey
    vice-président délégué de la Ligue de l’Enseignement (France)

Une école pour « faire société » : le temps des alliances

Noémie, Marin, Shemar, John, Maria, Hamid, Simon, Claire, Aminata, Jéré­mie, Hora­cio et Wang ont trois ans. En 2017, ils font leurs premiers pas à l’école. En 2035, ils seront en âge de voter et d’exercer plei­ne­ment leur citoyenneté.

Nul ne sait vrai­ment les choix qu’ils devront faire, les ques­tions auxquelles ils auront à répondre dans leurs vies person­nelles, profes­sion­nelles et citoyennes. Pour­tant l’école qu’ils vont fréquen­ter durant quinze années et sans doute plus, prétend les outiller pour cela en mobi­li­sant des savoirs essen­tiels pour penser, être et faire. Mais quels savoirs essen­tiels et quelles alliances pour les faire partager ?

Ils vivront sur la Terre, pour les deux tiers dans des villes, avec près de huit milliards et demi d’autres humains, dont plus de quatre et demi en Asie et près de deux en Afrique. La France repré­sen­tera moins de 1 % de la popu­la­tion mondiale dans une Europe restant une des régions les plus puis­santes du monde mais dont personne ne peut dire aujourd’hui si elle sera poli­ti­que­ment unifiée dans la démo­cra­tie ou désin­té­grée dans les nationalismes.

La maîtrise du génome humain permet­tra de fabri­quer et de répa­rer le vivant ou de le mani­pu­ler à des fins commer­ciales. Les algo­rithmes auront encore accru leurs vitesses de calcul et de profi­lage pour amélio­rer la vie quoti­dienne de tous ou pour renfor­cer le pouvoir de quelques-uns et le fichage de chacun. L’espérance de vie sera de 90 ans en moyenne dans les pays les plus riches, mais les menaces sur la vie même persis­te­ront si les périls écolo­giques n’ont pas été mieux conju­rés qu’ils ne le sont actuel­le­ment. La paix devra être préser­vée au sein des peuples et de l’Europe dont il faut souhai­ter qu’elle soit enfin fédé­rale, entre les nations et les ensembles régio­naux d’un monde multipolaire.

On pense souvent l’éducation pour une époque qui n’existe déjà plus. Ce qui rend toute poli­tique d’éducation vaine quand elle prétend avoir des effets certains et de court terme.

On pense souvent l’éducation pour une époque qui n’existe déjà plus. Ce qui rend toute poli­tique d’éducation vaine quand elle prétend avoir des effets certains et de court terme. Cela ne dispense pas d’en avoir une qui ambi­tionne d’avoir prise sur l’avenir, d’y prépa­rer les enfants et les jeunes, de leur donner confiance en eux, dans les autres et dans les cadres collec­tifs, confiance sans laquelle vivre en commun devient périlleux.

C’est d’autant plus vrai dans une époque dont les muta­tions inédites, rapides, parfois brutales rendent la situa­tion de l’humanité plus incer­taine, impré­vi­sible et d’une complexité inouïe. C’est à un tel moment qu’on mesure l’importance d’une poli­tique globale d’éducation et de forma­tion humaine pour « faire société », une véri­table éduca­tion du futur.

Dans un tel moment de méta­mor­phose, proche dans l’ampleur et l’esprit de ce que fût la Renais­sance, l’éducation doit en prio­rité être source de soli­da­rité, de coopé­ra­tion, de distance critique et d’imagination, sachant s’inspirer de la trans­mis­sion et combi­ner sciences et valeurs sans hiérar­chie dans les acti­vi­tés de l’esprit et du corps, de la sensi­bi­lité et des tech­niques. La laïcité et la citoyen­neté démo­cra­tique sont des prin­cipes actifs d’une telle ambition.

© Flickr​.com – Dodea

Nous mesu­rons bien l’étendue des enjeux pour élabo­rer et conduire de telles poli­tiques scolaires, d’éducation et de forma­tion initiale ou tout au long de la vie. Parce que la néces­sité d’apprendre toute sa vie s’impose chaque jour et que le rêve de Condor­cet est d’une urgente actua­lité pour s’équiper en savoirs, les renou­ve­ler et en produire. Des savoirs pour penser, être et faire. L’exercice vaut pour la puis­sance publique, état et collec­ti­vi­tés, les insti­tu­tions cultu­relles publiques ou privées, les mouve­ments d’éducation, les acteurs écono­miques et sociaux, les parents et tous les citoyens. Dans cet ensemble colla­bo­ra­tif et les alliances qu’il suppose, l’école est bien le lieu de la struc­tu­ra­tion des savoirs, celui de la trans­for­ma­tion des infor­ma­tions en connais­sances. C’est plus que jamais dans l’école que s’instituent la liberté de pensée par soi-même et les bases d’une vie commune. C’est dans l’alliance avec les autres acteurs que l’école a plus de chances d’y parvenir.

L’éducation est une respon­sa­bi­lité parta­gée et la coopé­ra­tion entre tous les éduca­teurs est la meilleure façon de faire recu­ler la fata­lité sociale, les peurs et la déshu­ma­ni­sa­tion possible (…)

L’éducation est une respon­sa­bi­lité parta­gée et la coopé­ra­tion entre tous les éduca­teurs est la meilleure façon de faire recu­ler la fata­lité sociale, les peurs et la déshu­ma­ni­sa­tion possible : pour que le progrès de la condi­tion humaine – vivre bien et mieux – soit l’horizon d’une éduca­tion démo­cra­tique pour les habi­tants de la planète, dans leur singu­la­rité qui contient la part d’universel de notre humaine et commune condition.

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