• Alain Moriau
    Alain Moriau
    directeur de Compas Format
Propos recueillis par Dorothy Bocken

Compas Format : un compagnonnage de service pour les jeunes en décrochage

L’asbl Compas Format, fondée en 2002, a comme objet exclusif le Service d’Accrochage Scolaire (SAS). Il y en a douze actuellement en Wallonie et à Bruxelles. Son concept est décrit dans la charte de l’Espace Tremplin du département Formation de la Province de Liège qui est partenaire de Compas Format. De 2004 à 2009, Compas Format a été un projet pilote se référant au décret de discrimination positive et obtiendra l’agrément du 21 novembre 2013 lui permettant notamment de se conventionner avec les autorités locales et de travailler en partenariat avec les écoles, les centres psycho-médico-sociaux, les Services d’aide à la jeunesse, les Services de protection judicaire, les Aides en Milieu Ouvert, les CPAS… et ce actuellement sur trois sites : Seraing, Verviers et Waremme.

S’appuyant sur des communautés de pratiques ancestrales issues du compagnonnage et dont l’objet initial était axé sur l’action dans le domaine des ressources humaines, Compas Format est un SAS unique en son genre reliant son action à la défense et l’illustration de l’histoire et des activités des Compagnons Serruriers Enfants de Salomon affiliés.

Les Serruriers étaient alors ceux qui ouvraient et fermaient les chantiers. L’évolution du métier de la serrure a, au cours de ces dernières décennies, évolué vers un compagnonnage de services dans le domaine de la formation et de l’intervention sociale. Aujourd’hui, nous pourrions parler de « communautés de pratiques » réunissant des professeurs, des assistants sociaux, des éducateurs, des formateurs. Chaque jeune est accompagné de façon individuelle et collective ce qui lui permet d’acquérir ou de renforcer les attitudes et les comportements attendus en milieu scolaire, tout en lui maintenant et en valorisant ses acquis.

Nous avons rencontré son directeur, Alain Moriau.


Entretien avec

Alain Moriau

Une prise en charge pour des perspectives d’avenir positives

Salut & Frater­nité : Quel est votre public et comment fait-il appel à vos services ?

Alain Moriau : Un décret orga­nise notre secteur. Nous devons prendre en charge tout jeune de 6 à 18 ans en situa­tion de décro­chage scolaire, du géné­ral au spécia­lisé, tous réseaux confon­dus. Nous travaillons en petits groupes et essayons dès lors que ces derniers soient rela­ti­ve­ment homo­gènes pour éviter des écarts d’âge trop impor­tants. Les jeunes que nous suivons sont soit en situa­tion d’écartement pour un certain temps, soit en décro­chage profond (en géné­ral après 20 jours d’absence non justi­fiée) ou en exclu­sion totale. La prise en charge d’un jeune est de un jour à trois mois recon­duc­tible une fois durant son parcours scolaire. Elle se passe toujours avec son accord, celui de sa famille et des parte­naires concer­nés. J’en profite égale­ment pour dire que la grande majo­rité des jeunes en décro­chage scolaire ne sont pas délin­quants pour la cause, c’est un amal­game qui a la vie dure.

S&F : Quelles sont les origines du décro­chage scolaire ?

A.M. : Il y a diverses raisons mais certaines sont récur­rentes. Je dirais tout d’abord la préca­rité. Quand la famille est dans l’impossibilité de payer le bus, le maté­riel, les excur­sions, le jeune se retire progres­si­ve­ment de la vie scolaire et évite ces sources de stress pour proté­ger sa famille. C’est un phéno­mène qui prend de l’ampleur. Nous sommes donc face à des enfants qui protègent leurs parents.

Une autre raison est le parcours scolaire chao­tique et la mauvaise orien­ta­tion scolaire liée notam­ment à l’organisation du premier degré de l’enseignement secon­daire. Des enfants qui réus­sissent leur CEB se retrouvent dans le géné­ral et échouent car ils n’y seraient pas « à leur place ». Cela ne veut abso­lu­ment pas dire qu’ils n’ont pas de capa­ci­tés, simple­ment le système ne va pas leur permettre de les exploi­ter. Étant donné le non redou­ble­ment, ils seront orien­tés en classe complé­men­taire ou dans l’enseignement spécia­lisé jusqu’à ce qu’ils aient 15 ans, l’âge d’aller en centre d’éducation et de forma­tion en alter­nance (CEFA) ou en forma­tion. C’est durant ces années de no man’s land que le décro­chage peut ­s’installer.

S&F : Comment se passe la prise en charge du jeune ?

A.M. : Le jeune vit une première période de décou­verte du site, du fonc­tion­ne­ment et des personnes présentes. Il se trouve dans un cadre tout à fait contrasté par rapport à sa scola­rité habi­tuelle, tout en le resi­tuant dans une dyna­mique plus large. Au début de son parcours, un parrain insti­tu­tion­nel réfé­rent est choisi parmi un des membres de l’équipe ; il devient alors l’accompagnant prin­ci­pal et veille au parcours du jeune. La prise en charge s’articule autour de la réus­site du projet indi­vi­duel dont la fina­lité est de déga­ger des pers­pec­tives posi­tives d’avenir à partir d’objectifs concrets. Toutes les mati­nées sont consa­crées au scolaire et les après-midi à des acti­vi­tés spor­tives, citoyennes et cultu­relles. Le groupe permet de renvoyer à chaque jeune l’image de son compor­te­ment. L’objectif est d’élargir sa vision quant aux problé­ma­tiques rencon­trées et d’éviter de trans­po­ser un problème d’un secteur de vie à un autre.

Des profes­seurs, des assis­tants sociaux, des éduca­teurs et des forma­teurs accom­pagnent des jeunes en décro­chage afin de les soute­nir dans leur démarche de réinsertion.

S&F : Expli­quez-nous votre démarche basée sur les tech­niques du compagnonnage.

A.M. : Compas Format signi­fie Compa­gnon-Forma­teur. Nous avons d’ailleurs été agréés sur base de notre philo­so­phie laïque et compa­gnon­nique. Nous ne travaillons pas de nos mains, notre travail est dit « intellectuel ».

Nous utili­sons des outils compa­gnon­niques dans notre travail. Je vais donner l’exemple du ciseau, selon le voca­bu­laire ad hoc, c’est l’outil qui sert à renvoyer la ques­tion au jeune, à créer chez lui la réflexion. Notre travail s’appuie sur le prin­cipe de la table compa­gnon­nique à 9 points. C’est une table évolu­tive et évalua­tive que chacun peut inter­pré­ter à sa manière et sur laquelle nous pouvons nous situer. Nous utili­sons les trois premiers points, à savoir : le contraste – qu’est-ce que je fais ici et pour­quoi ? –, le lien – qui sert à s’y retrou­ver, savoir ce que je fais là – et la construc­tion – une fois que j’ai réflé­chi à ma situa­tion et que j’ai fait le lien, je peux réflé­chir et commen­cer à construire mon avenir. Nous trans­met­tons ce fonc­tion­ne­ment aux jeunes, sans pour autant entrer dans tous les détails du compa­gnon­nage. Nous ne sommes pas là pour faire des adeptes. Notre philo­so­phie de travail est basée sur la trans­mis­sion des savoirs, sur la manière de travailler, de voir la société. Cette trans­mis­sion est d’ailleurs l’affaire de tous à Compas Format. Que l’on soit forma­teur ou élève, nous gardons cette ligne qui conduit les anciens à systé­ma­ti­que­ment trans­mettre aux nouveaux. C’est impor­tant qu’ils fassent ce chemi­ne­ment entre eux aussi. Nous travaillons toujours l’individualité du jeune dans le collec­tif, en le mettant un maxi­mum en valeur et en lui rendant la notion « d’être dans le capable et l’excellence de ce que je fais »

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