• Brigitte Denis
    Brigitte Denis
    professeur de technologie de l’éducation et de la formation à l’ULg et directrice du CRIFA
Propos recueillis par Grégory Pogorzelski

Apprendre par soi-même n’est pas apprendre seul

Brigitte Denis est docteur en sciences de l’éducation, elle travaille depuis 1982 sur les liens entre appren­tis­sage et nouvelles tech­no­lo­gies. Elle s’entretient avec nous des avan­tages et des défis de l’apprentissage par soi-même.

Salut & Frater­nité : Apprendre par soi-même, qu’est-ce que cela implique ?

Brigitte Denis : Quand vous appre­nez quelque chose vous allez passer, consciem­ment ou non, par certaines étapes : vous consta­tez un manque de compé­tence, vous iden­ti­fiez vos besoins, vous vous enga­gez dans une méthode d’apprentissage, vous la suivez, vous évaluez les résul­tats… Apprendre en dehors d’un cadre établi ça demande de prendre en charge ces étapes soi-même. Que dois-je apprendre ? Dans quel(s) but(s) ? Selon que je parte en vacances ou en voyage d’affaires, je n’apprendrai pas une langue de la même façon. De quoi ai-je vrai­ment besoin ? Pour un voyage d’affaires, je n’ai pas besoin de deve­nir parfait bilingue, juste de pouvoir présen­ter mon projet et répondre à quelques ques­tions. Il faut égale­ment choi­sir la façon d’apprendre la plus adéquate, ce qui dépend de mes objec­tifs et de ce qui est le plus adéquat pour moi, selon mes façons d’apprendre. Il faut que je m’évalue, que je véri­fie si j’ai bien appris ce que je voulais apprendre, si je dois revoir certains points de matière, ce qui est toujours moins évident qu’on ne le pense.

Il faut égale­ment choi­sir la façon d’apprendre la plus adéquate, ce qui dépend de mes objec­tifs et de ce qui est le plus adéquat pour moi, selon mes façons d’apprendre.

S&F : Passer par toutes ces étapes, est-ce possible seul ?

B.D. : Bien sûr, avec les bons prére­quis et les bonnes méthodes, certains sont capables d’apprendre de nouvelles compé­tences seuls, hors cadre. Mais être auto­di­dacte ce n’est pas néces­sai­re­ment être seul dans son appren­tis­sage : se prendre soi-même en charge, c’est aussi savoir se faire accom­pa­gner. Que ce soit par des conseils ponc­tuels, un tuto­rat, des travaux de groupes, des moments d’échange… C’est utile à toutes les étapes du proces­sus. D’ailleurs, la plupart des dispo­si­tifs d’autoformation proposent un accom­pa­gne­ment sous une forme ou l’autre, même quand ils laissent le plus d’autonomie possible à l’apprenant. Même les plus soli­taires deman­de­ront conseil de temps à autre, et utili­se­ront des outils conçus par d’autres pour apprendre.

S&F : Les nouvelles tech­no­lo­gies mettent les savoirs et les moyens d’apprendre à portée de toutes les mains ou presque, et la tendance semble être à l’autonomie et la forma­tion perma­nente. Sommes-nous à l’ère de l’autodidacte ?

B.D. : Il y a effec­ti­ve­ment une explo­sion de supports, de ressources dispo­nibles qui offrent une liberté d’apprendre inouïe. Il y a quelques siècles, un auto­di­dacte devait potas­ser à la chan­delle, et encore : il fallait avoir accès aux textes. Puis sont arri­vés la presse, les jour­naux, la radio, la télé­vi­sion, aujourd’hui inter­net et les réseaux sociaux. Chacun de ces médias est devenu une ressource éduca­tive et de plus en plus de gens y ont accès. Les tech­niques d’apprentissage, elles aussi, ont évolué avec les supports : tuto­riels en vidéo, cours en ligne ouverts et massifs (MOOC), plate­formes d’exercices sur inter­net, forums spécia­li­sés… Prenez un tuto­riel en vidéo : ce n’est pas juste une masse d’informations à struc­tu­rer soi-même, comme peut l’être un manuel tech­nique. C’est une méthode d’apprentissage, comme un profes­seur qui expli­que­rait et montre­rait la méthode devant la classe avant de lais­ser les élèves essayer par eux-mêmes. Sauf qu’ici, vous lancez la vidéo selon vos dispo­ni­bi­li­tés, et vous pouvez entendre et voir l’explication mille fois sans user la patience du profes­seur. Pour celui qui veut se former de façon auto­nome, c’est une possi­bi­lité de plus.

Prenez un tuto­riel en vidéo (…). C’est une méthode d’apprentissage, comme un profes­seur qui expli­que­rait et montre­rait la méthode devant la classe avant de lais­ser les élèves essayer par eux-mêmes.

S&F : Face à toutes ces possi­bi­li­tés, à quoi faire attention ?

B.D. : Il faut d’abord être atten­tif à toutes les étapes de son appren­tis­sage : connaître ses besoins et ses objec­tifs, choi­sir une bonne méthode, s’appliquer, s’évaluer. Il faut aussi choi­sir avec soin son accom­pa­gnant et ses ressources, surtout aujourd’hui. Il est possible de se retrou­ver avec des sources ou des méthodes dépas­sées, inexactes, voire malhon­nêtes. Comment véri­fier ses sources, c’est quelque chose qu’on commence à abor­der à l’école, mais c’est encore rare. Ce sont des compé­tences trans­ver­sales à culti­ver car elles sont démul­ti­pli­ca­trices ; elles vous permettent d’aller encore plus loin dans vos futurs appren­tis­sages. Face aux offres d’autoformation, enfin, il faut être vigi­lant, voir comment elles sont orga­ni­sées. L’autoformation peut être un facteur d’autonomie, mais dans certaines struc­tures ça peut aussi être un moyen de se dédoua­ner : « Des dispo­si­tifs sont dispo­nibles, débrouillez-vous ! »

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