• Julie Papazoglou
    Julie Papazoglou
    juriste et chargée de missions à la cellule Étude & Stratégie du Centre d’Action Laïque

Oui à l’humanisation du deuil, non à la personnification du fœtus ou de l’embryon

Depuis plusieurs années, des propo­si­tions de lois1 sont dépo­sées au Parle­ment fédé­ral en vue de modi­fier le statut donné aux fœtus et embryons nés sans vie avant 6 mois de gros­sesse. À première vue, leur inten­tion paraît louable : huma­ni­ser le deuil des couples ayant perdu une gros­sesse en offrant à ceux-ci la possi­bi­lité d’en garder une trace officielle.

Pour rappel, actuel­le­ment, le Code civil et sa circu­laire inter­pré­ta­tive2 stipulent que tout enfant né sans vie à partir de six mois de gros­sesse (180 jours) a une exis­tence dans les registres de l’état civil. En effet, s’il est décédé au moment de la consta­ta­tion de sa nais­sance, un acte de décla­ra­tion d’enfant sans vie est dressé par l’officier de l’état civil, le méde­cin ou l’accoucheuse. Il est ensuite inscrit dans le registre des actes de décès de la commune de l’hôpital. A contra­rio, lors d’une fausse-couche avant 180 jours, le fœtus ou l’embryon n’a pas de recon­nais­sance à l’état civil. Face à un tel événe­ment doulou­reux, certains hôpi­taux proposent un accom­pa­gne­ment de type psycho­so­cial ainsi que la conser­va­tion de traces de l’événement dans le dossier médi­cal (prise d’empreinte des mains et pieds, photos, etc.). Les couples peuvent égale­ment procé­der à une inci­né­ra­tion ou une inhu­ma­tion du fœtus dans des parcelles d’étoiles réser­vées à cet effet dans les cime­tières, à partir de 15 semaines de gros­sesse en Wallo­nie et à Bruxelles. Le délai mini­mal était de 12 semaines et un jour en Flandre ; il a été pure­ment et simple­ment supprimé en juin 2014, de sorte que ces rituels funé­raires sont possibles pour toute fausse-couche précoce.

CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Hey Paul Studios

À l’analyse, les dernières propo­si­tions de loi actuel­le­ment à l’examen en Commis­sion Justice de la Chambre ne répondent pas à l’objectif qu’elles entendent défendre. En effet, la propo­si­tion du CD&V prévoit la déli­vrance d’un acte de nais­sance sans seuil mini­mal de concep­tion, l’octroi d’un prénom et d’un nom de famille et d’un congé de « mater­nité » pour la femme ! Sur le plan du droit, avec un nom de famille et un acte de nais­sance, le risque d’octroi de la person­na­lité juri­dique3 à un fœtus ou embryon est bien réel. Consé­quences : impos­si­bi­lité in fine de prati­quer des inter­rup­tions volon­taires ou médi­cales de gros­sesse ou de réali­ser des recherches sur embryon sous peine d’assimiler ces actes à des homicides.

La déli­vrance d’un acte de nais­sance avec le prénom et le nom du fœtus pose égale­ment la ques­tion de la culpa­bi­li­sa­tion des femmes qui ont décidé de ne pas pour­suivre une gros­sesse pour raison médi­cale par exemple. Pour preuve : le glis­se­ment séman­tique omni­pré­sent dans les propo­si­tions de loi où il est toujours ques­tion d’« enfant mort-né » et non de fœtus ou d’embryon.

(…) impo­ser la déli­vrance d’un acte d’état civil entraîne de ce fait l’obligation d’inhumer ou d’incinérer la dépouille. Il n’appartient pas à la loi d’imposer la manière de faire son deuil.

Ces propo­si­tions confondent égale­ment la prise en compte de para­mètres d’ordre psycho­lo­gique (« faci­li­ter et huma­ni­ser le deuil ») avec des éléments liés à l’état civil et entravent de ce fait le libre choix des indi­vi­dus. En effet, impo­ser la déli­vrance d’un acte d’état civil entraîne de ce fait l’obligation d’inhumer ou d’incinérer la dépouille. Il n’appartient pas à la loi d’imposer la manière de faire son deuil.

La souf­france de ces couples doit être enten­due, mais est-ce du ressort du Code civil ou bien plutôt du domaine de la santé ? Car rien n’est proposé pour créer un cadre légal offrant un accom­pa­gne­ment psycho­so­cial de qualité dans tous les hôpi­taux, et pas seule­ment dans les grandes unités hospi­ta­lières urbaines.


  1. Les dernières en date sont la propo­si­tion de l’Open VLD du 12 mars 2015 dépo­sée par Mmes Carina Van Cauter et Sabien Lahaye-Battheu ; la propo­si­tion du cdH du 24 octobre 2014 dépo­sée par Mme Fonck et consort ; la propo­si­tion du SPa du 20 janvier 2015, dépo­sée par M. Peter Vanvel­tho­ven et Mmes Karin Jiro­flée et Maya Detiège ; la propo­si­tion du CD&V du 10 septembre 2014 dépo­sée par Mme Sonja Becq et M. Raf Terwin­gen et son amen­de­ment du 6 mai 2015.
  2. Article 80 bis du code civil et sa circu­laire du 10 juin 1999 concer­nant l’acte de décla­ra­tion d’enfant sans vie.
  3. Les quatre éléments consti­tu­tifs de la person­na­lité juri­dique sont le nom et le prénom, l’enregistrement à l’état civil, le domi­cile et la natio­na­lité. Yves-Henri Leleu, Droit des personnes et des familles, éd. Larcier, 2010.
< Retour au sommaire