• Fabienne Bloc
    Fabienne Bloc
    co-auteure de Jouissez sans entraves ? Sexualité, citoyenneté et liberté
  • Valérie Piette
    Valérie Piette
    co-auteure de Jouissez sans entraves ? Sexualité, citoyenneté et liberté

De la nécessité d’une convergence des luttes

Fémi­nistes et plan­nings sont souvent les éter­nels oubliés de l’histoire de l’avortement. Pour­tant avor­ter est une affaire de femmes. Elles ont été nombreuses à embras­ser le fémi­nisme et son rôle profon­dé­ment contes­ta­taire et révo­lu­tion­naire par le combat pour le droit d’avorter, notam­ment en créant puis en s’engageant dans les premiers centres de plan­ning fami­lial. Des struc­tures dont la poli­tique était basée sur l’autogestion, la connais­sance de son corps et bien évidem­ment sur la déso­béis­sance civile néces­saire, voire vitale, pour faire face à une société bien pensante où sexua­lité rimait avec répression.

Fémi­nisme et plan­nings accom­pa­gnaient une profonde révo­lu­tion des mœurs qui a boule­versé fonda­men­ta­le­ment la société. Accu­sés de tous les maux, plan­nings et fémi­nisme doivent conti­nuel­le­ment se justi­fier de leurs actions et de leurs combats. La recon­nais­sance des droits sexuels et repro­duc­tifs des femmes obser­vée lors des grandes confé­rences onusiennes du Caire (1994) et de Pékin (1995) a donné l’alerte chez les conser­va­teurs. Jusqu’il y a peu, ces attaques y parais­saient larvées, bénignes, voire l’œuvre de déséqui­li­brés isolés.

Aujourd’hui, il est de bon ton de se dire anti­fé­mi­niste et de douter ouver­te­ment de la néces­sité et du profes­sion­na­lisme des plan­nings. Les réac­tion­naires de tous bords se distinguent par leurs propos nauséabonds.

À l’heure actuelle, ce mouve­ment s’est struc­turé et diffuse massi­ve­ment sa propa­gande anti-avor­te­ment. Aujourd’hui, il est de bon ton de se dire anti­fé­mi­niste et de douter ouver­te­ment de la néces­sité et du profes­sion­na­lisme des plan­nings. Les réac­tion­naires de tous bords se distinguent par leurs propos nauséa­bonds. Accep­ter que les femmes aient des droits sur leur corps reste un impensé, et surtout un inac­cep­table. Le pape Fran­çois en appelle à « un nouveau fémi­nisme qui sache recon­naître et expri­mer le vrai génie fémi­nin dans toutes les modi­fi­ca­tions de la vie en société ». Ce génie qui ne peut se réali­ser que « dans la mater­nité contre la culture de la mort ». La formule fait son effet et est aujourd’hui scan­dée sans cesse. Ces idées fortes ne sont pas l’apanage de membres éminents du Vati­can. C’est ainsi que l’actuel président turc Erdo­gan dénonce « la trahi­son contre des géné­ra­tions de Turcs » que repré­sente le plan­ning fami­lial. Rien de neuf évidem­ment, mais la viru­lence des propos et surtout leur bana­li­sa­tion prennent une ampleur jusqu’ici inconnue.

Face à des groupes anti-choix en plein renou­vel­le­ment de leurs méthodes de commu­ni­ca­tion dans le monde, les parti­sans du droit aux choix pour les femmes doivent repen­ser leurs stra­té­gies. © Repor­ters – DMS

Éduca­tion à la sexua­lité, plan­nings, fémi­nisme, genre, droits sexuels et repro­duc­tifs sont asso­ciés dans une nouvelle incar­na­tion du Mal. Ces idées percolent de manière insi­dieuse auprès de la jeunesse par l’intermédiaire de jeunes sexo­logues qui sous un discours dit progres­siste et moderne tiennent et propagent les mêmes idées réac­tion­naires. À l’instar de la média­tique Thérèse Hargot qui sacra­lise la mère au foyer, la virgi­nité avant le mariage, diabo­lise la pilule contra­cep­tive et l’avortement, patho­lo­gise le non-désir d’enfant, dénie l’homosexualité, et martèle les dangers du fémi­nisme. De nouveaux sites au look bran­ché et autres dispo­si­tifs ­anti-IVG et anti-choix appa­raissent régu­liè­re­ment. Ils propagent des idées menson­gères. Des anima­tions du groupe Crois­sance sont réali­sées dans les écoles et des messages anti-IVG sont ainsi déli­vrés en toute impu­nité en se jouant des limites du décret EVRAS (Éduca­tion à la Vie Rela­tion­nelle, Affec­tive et Sexuelle).

Aujourd’hui à nouveau, deux projets de société s’affrontent. L’IVG appa­raît toujours comme une conces­sion, et non comme un droit à part entière. Des propos souvent maladroits voire culpa­bi­li­sants sont encore asse­nés aux femmes deman­deuses d’une inter­rup­tion de grossesse.

Il est néces­saire et urgent de (re)penser les enjeux de pouvoir qui traversent le corps des femmes, celui de la norme sociale, poli­tique, reli­gieuse mais aussi médi­cale. Autant d’injonctions qui tendent à contrô­ler plus encore les corps féminins.

Il est néces­saire et urgent de (re)penser les enjeux de pouvoir qui traversent le corps des femmes, celui de la norme sociale, poli­tique, reli­gieuse mais aussi médi­cale. Autant d’injonctions qui tendent à contrô­ler plus encore les corps fémi­nins. L’avortement est un événe­ment de la vie sexuelle des femmes au même titre que la contra­cep­tion et la gros­sesse. Conti­nuons à déve­lop­per des stra­té­gies qui contri­buent à lever le tabou sur l’IVG et qui parti­cipent à sa déstig­ma­ti­sa­tion, tout en combat­tant les discours aujourd’hui surabon­dants qui décré­di­bi­lisent le fémi­nisme et les plan­nings. Il en va de notre dignité, de la dignité des femmes. Comme viennent de nous le rappe­ler les Polo­naises en octobre dernier, en mani­fes­tant vêtues de noir, couleur du deuil des droits des femmes et des futures victimes d’avortements clandestins.

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