• Sylvie Lausberg
    Sylvie Lausberg
    directrice de la cellule Étude & Stratégie du Centre d‘Action Laïque

L’interruption volontaire de grossesse, un droit encore précaire

Si les attaques fron­tales sur le droit à l’avortement en Belgique restent margi­nales, en revanche, les risques qui pèsent sur l’accès à l’avortement sont réels et inquiétants.

Le vote de la loi de 1990 fut un énorme soula­ge­ment et une véri­table victoire, pour les femmes mais égale­ment pour les méde­cins, les équipes et tous les progres­sistes. À l’époque, les conces­sions faites aux oppo­sants – les partis chré­tiens avec comme chef de file Herman van Rompuy (CVP, aujourd’hui CD&V) – étaient un moindre mal. En respec­tant les condi­tions de la loi, l’IVG deve­nait acces­sible et médi­ca­le­ment sûre.

Un quart de siècle plus tard, nous devons consta­ter que les oppo­sants n’ont pas disparu, et qu’au contraire, ils sont de plus en plus présents, de plus en plus actifs, de mieux en mieux orga­ni­sés, et roués à une commu­ni­ca­tion perni­cieuse. Sites inter­net menson­gers, évan­gé­listes en charge d’éducation sexuelle dans les écoles, lignes télé­pho­niques d’urgence noyau­tées par des anti-IVG. La liste est longue. Nous pensions que c’était un acquis ; que personne n’oserait jamais reve­nir sur ce droit à la santé reconnu par l’OMS : nous nous trom­pions. Les propo­si­tions de loi sur la table de la commis­sion justice qui visent à donner un statut au fœtus et à inscrire dans le Code civil qu’un embryon est un enfant sont là pour nous aler­ter sur l’imminence du danger. L’argument fonda­teur des mouve­ments anti-IVG est le même : tout embryon est un enfant à naître, et l’IVG est, selon cette logique, assi­milé à un meurtre….

Nous pensions que c’était un acquis ; que personne n’oserait jamais reve­nir sur ce droit à la santé reconnu par l’OMS : nous nous trom­pions. Les propo­si­tions de loi sur la table de la commis­sion justice qui visent à donner un statut au fœtus et à inscrire dans le Code civil qu’un embryon est un enfant sont là pour nous aler­ter sur l’imminence du danger.

Réagir face à ces dogma­tiques qui empêchent les autres de poser des choix en toute liberté est une néces­sité, mais cela ne suffit pas. Nous avons aussi le devoir d’analyser la situa­tion dont nous nous sommes conten­tés durant toutes ces années, pensant qu’un retour en arrière n’était pas possible.

Pour le Centre d’Action Laïque, il est grand temps de sortir le droit à l’avortement du Code pénal. © Repor­ters – Messyasz Nicolas

Sur le terrain, les étudiants ne sont pas systé­ma­ti­que­ment formés à l’avortement en faculté de Méde­cine. Ce n’est que depuis une dizaine d’années qu’une forma­tion spéci­fique sur demande est mise en place, et ce unique­ment à l’ULB.

Sur le plan poli­tique, le tabou reste de mise : il a fallu inter­pel­ler durant deux ans la ministre de la Santé pour que le site du Service public fédé­ral (SPF) Santé publique diffuse une infor­ma­tion offi­cielle sur l’IVG en Belgique. Ce fut chose faite en avril dernier sous l’onglet début et fin de vie. Pas la moindre liste réfé­ren­çant les centres prati­quant l’avortement, mais bien, en résumé, les condi­tions (très contrai­gnantes) de la loi. Et elles doivent nous faire réflé­chir ! Il y a bien entendu le délai de 12 semaines, mais surtout l’obligation pour l’accueillant de détailler à la femme enceinte les droits, aides et avan­tages garan­tis aux familles, aux mères céli­ba­taires et à leurs enfants, les possi­bi­li­tés offertes par l’adoption ou l’accueil de l’enfant à naître, les moyens de résoudre les problèmes person­nels (loge­ment, contexte fami­lial, couver­ture sociale,…) avec une assis­tance et des conseils pour aider concrè­te­ment les femmes.

Aider concrè­te­ment les femmes à quoi ? À garder « l’enfant à naître », alors qu’elles viennent deman­der une IVG ! Cette culpa­bi­li­sa­tion des femmes, le déni de leur auto­no­mie de déci­sion se retrouve dans d’autres condi­tions strictes de la loi comme la néces­sité d’attester de leur « état de détresse », de leur impo­ser une décla­ra­tion d’intention écrite ou d’attendre mini­mum 6 jours entre le premier rendez-vous et l’intervention.

Cette culpa­bi­li­sa­tion des femmes, le déni de leur auto­no­mie de déci­sion se retrouve dans d’autres condi­tions strictes de la loi comme la néces­sité d’attester de leur « état de détresse », de leur impo­ser une décla­ra­tion d’intention écrite ou d’attendre mini­mum 6 jours entre le premier rendez-vous et l’intervention.

Dans les faits, ces pres­crits ne sont certai­ne­ment pas tous respec­tés ! La preuve en est l’omission sur le site du SPF Santé publique de l’obligation faite au méde­cin « d’informer la femme des risques médi­caux actuels ou futurs qu’elle encourt suite à une IVG ». Il n’en reste pas moins que, 26 ans après le vote de la loi, l’avortement reste inscrit dans le Code pénal comme un crime contre l’ordre des familles et de la mora­lité publique. Et que, comme pour toute loi pénale, si les condi­tions d’une dépé­na­li­sa­tion partielle ne sont pas respec­tées, les sanc­tions prévues sont appli­cables : une amende et un empri­son­ne­ment de trois mois à un an. Or, conti­nuer à quali­fier l’avortement de délit, c’est perpé­tuer une stig­ma­ti­sa­tion de l’IVG. Surtout, cela tend à culpa­bi­li­ser les femmes, et ce avant même qu’elles aient pu poser un choix.

Il est grand temps d’envisager cette ques­tion sous l’angle de la santé et de l’autodétermination des femmes, et non plus dans une optique de répres­sion pénale et judi­ciaire. Voilà pour­quoi il faut aujourd’hui sortir l’IVG du Code pénal1. Pour qu’enfin le Légis­la­teur affirme sa confiance dans les femmes et dans leur capa­cité, en cas de gros­sesse non plani­fiée, à prendre la bonne déci­sion pour elles-mêmes2.


  1. Brochure « L’avortement hors du Code pénal », CAL – 2015.
  2. Plusieurs propo­si­tions de loi sont actuel­le­ment sur la table : DéFI, PS, Ecolo Groen ainsi qu’une réso­lu­tion SPa.
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