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Vincent Cespedes,
philosophe et essayiste
Oser la jeunesse
Vincent Cespedes, philosophe et essayiste français, s’intéresse aux phénomènes de société et aux enjeux très actuels. De l’éducation au travail, en passant par la santé, il propose une vision moderne du monde. Son dernier ouvrage, Oser la jeunesse, lance un appel à la réconciliation des générations.
Salut & Fraternité : Pourquoi écrire un livre sur la jeunesse ?
Vincent Cespedes : Aujourd’hui, la jeunesse est maltraitée et précarisée. Notre société fait semblant d’aimer les jeunes parce que les aimer, c’est être jeune. Les aînés convoitent cette jeunesse. Pourtant, la jeunesse est sans cesse critiquée et déconsidérée. J’avais envie de mettre ce paradoxe en lumière et de le décortiquer.
S&F : Vous y parlez d’une « crise de la passion ». Qu’entendez-vous par là ?
V.C. : La crise de la passion est occidentale et civilisationnelle : notre société a tout soumis à l’argent, à la production à court terme et à la quête du profit individuel maximal. Dans ce contexte de pression et de rentabilité, la passion est sacrifiée. Les valeurs de liberté, de fraternité et d’égalité ne sont pas rentables. Le vivre ensemble et la ferveur démocratique sont écartés au profit de l’efficacité.
Pourtant, les jeunes sont passionnés par nature. Et c’est l’école qui, la première, freine tout enthousiasme et favorise une intégration dans un monde adulte froid, gris et raisonnable.
Pourtant, les jeunes sont passionnés par nature. Et c’est l’école qui, la première, freine tout enthousiasme et favorise une intégration dans un monde adulte froid, gris et raisonnable. Elle sélectionne en mettant l’accent sur les notes et l’évaluation individuelle : réussir sa scolarité, c’est réussir sa vie. Cette crise de la passion se traduit par un désintérêt anormal de tout ce qui devrait captiver un être humain. Les matières et la façon d’enseigner ne correspondent pas aux attentes et intérêts des élèves. Les trois quarts des enseignants ne sont d’ailleurs pas passionnés : ils sont recrutés pour être des professeurs de la pression. Ils la subissent de la part de leur hiérarchie, du système, des programmes et des élèves, et la mettent ensuite sur ces derniers. L’école étouffe les passions. C’est une machine à normaliser.
À côté de l’école, il y a la famille. Mais se passionner pour le sport, la musique, etc., coûte de l’argent, du temps et des déplacements. La passion est dès lors réservée à une certaine classe sociale, capable de donner aux jeunes ce qu’ils ne reçoivent pas à l’école. Ces enfants-là sont alors surmenés et harcelés dans leur emploi du temps, « pour leur bonheur », dit-on. Une réelle discrimination de la passion se crée alors entre ces enfants surchargés et les autres, dépassionnés.

S&F : Quel regard porte la société sur la jeunesse ?
V.C. : La société, dans ses déclarations, adore la jeunesse, mais dans le même temps, elle a peur quand les jeunes remettent en question l’héritage reçu. Pour la plupart des gens, ils doivent juste apprendre leurs leçons. Notre société ne laisse pas de place à ceux qui voudraient dialoguer, – pas simplement recevoir et écouter – , mais aussi participer aux débats de société parce qu’ils ont des choses à dire, des points de vue sur le monde à partager. Par exemple, les jeunes ont été gommés des débats télévisés. Personne ne veut plus les écouter. Pourtant, de tout temps, ils ont cette fonction de donner non seulement du sang neuf et frais, mais aussi des illusions nouvelles par leur audace. La société refuse l’autocritique civilisationnelle, qui est, pour moi, la définition de la philosophie. Tout le monde veut le changement, mais personne n’est prêt à changer.
La société refuse l’autocritique civilisationnelle, qui est, pour moi, la définition de la philosophie. Tout le monde veut le changement, mais personne n’est prêt à changer.
S&F : À qui vous adressez-vous dans votre essai Oser la jeunesse ?
V.C. : À tout le monde. Je m’adresse aux jeunes en général ainsi qu’au jeune que nous avons été et à celui que nous sommes toujours. Comme Edgar Morin, je crois en l’adolescence prolongée, au fait de garder la révolte et de ne pas s’enfermer dans le confort et le « j’ai raison ». C’est pourquoi un chapitre du livre est consacré à la réconciliation des générations. J’y propose six liens d’échange entre jeunes et aînés, appelé « pacte intergénérationnel ». Sur cette base, chacun peut s’auto évaluer, de manière concrète, sur son implication dans ce dialogue.
Ce livre est un appel à la réconciliation et à la remise en question de chacun. Car si la société n’ose pas la jeunesse, elle passe à côté d’une immense richesse que personne d’autre ne peut lui donner !
- Oser la jeunesse, Vincent Cespedes, Flammarion, 2015.