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Jehan Bottin,
assistant de recherche à l'UCLouvain
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Min Reuchamps,
professeur de sciences politiques à l'UCLouvain
Le développement des innovations démocratiques en Belgique
Dans le contexte des tensions qui entourent les démocraties représentatives contemporaines, l’augmentation de la participation politique des citoyens dans la gestion des affaires publiques est parfois présentée comme une solution permettant de réconcilier les citoyens avec leurs institutions représentatives et les élus qui les composent.
Certains évoquent le développement d’un tournant participatif et délibératif de la démocratie. Ce tournant vise à rendre la démocratie plus participative, en fondant la légitimité démocratique non plus sur le modèle de l’agrégation des votes (« pour prendre une décision, votons et comptons les voix ») mais sur la participation des citoyens et leur délibération (« pour prendre une décision, délibérons et laissons entendre nos voix »). Dans cette perspective, la délibération va plus loin que la participation, en insistant sur l’échange d’arguments pouvant conduire à la transformation des préférences individuelles. En d’autres termes, la délibération repose sur la participation mais la participation ne repose pas nécessairement sur la délibération, et peut consister en une « simple » consultation.
C’est ainsi que de nombreux dispositifs renvoyant tantôt à la démocratie participative, tantôt à la démocratie délibérative sont organisés partout dans le monde à l’initiative d’acteurs privés et publics. Un dispositif participatif est une « procédure officiellement mise en œuvre par les autorités publiques, à toute échelle, dans le but d’associer tout ou partie d’un public à un échange de la meilleure qualité possible, afin d’en faire des parties prenantes du processus décisionnel dans un secteur déterminé d’action publique ». Ces dispositifs portent de nombreux noms (mini-publics, budgets participatifs, sondages délibératifs, assemblées citoyennes) et se multiplient à tous les niveaux de pouvoir. En Belgique, plusieurs travaux mettent en évidence l’augmentation progressive du nombre de dispositifs participatifs et délibératifs organisés par des acteurs publics et privés, en particulier depuis 2017. Pourtant, ce n’est pas le développement de ces nombreux dispositifs participatifs et délibératifs organisés de manière ponctuelle qui fait dire à certains observateurs que la Belgique serait à l’avant-garde d’une « vague délibérative » qui toucherait de nombreux autres pays. Deux dispositifs originaux et permanents mis en place au sein d’assemblées parlementaires d’entités fédérées du Royaume mettent particulièrement la Belgique sous le feu des projecteurs depuis 2019 : il s’agit du Dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone et des Commissions délibératives entre parlementaires et citoyens tirés au sort au des Parlements régionaux bruxellois et francophone bruxellois.
Le premier dispositif délibératif institué de manière permanente dans une assemblée législative en Belgique, le Dialogue citoyen permanent, est institué au sein du Parlement de la Communauté germanophone de Belgique. Le Dialogue citoyen permanent est composé de trois organes : les assemblées citoyennes, le conseil citoyen, et le secrétariat permanent. Les assemblées citoyennes sont constituées de 25 à 50 membres tirés au sort parmi les citoyens âgés de plus de 16 ans et résidant légalement dans l’une des neuf communes germanophones de Belgique. Elles sont chargées par le conseil citoyen de délibérer sur un sujet défini et de formuler une ou plusieurs recommandations. Ces recommandations sont ensuite discutées au sein de la commission parlementaire compétente et doivent être suivies par le parlement ou le gouvernement. Le refus de suivre une recommandation formulée par une assemblée citoyenne doit être motivé. Ensuite, le conseil citoyen est un organe permanent dont la tâche est de choisir les sujets débattus par les assemblées citoyennes et d’en assurer la préparation, la mise en œuvre et le suivi. Il est composé de citoyens tirés au sort parmi les anciens participants d’une assemblée citoyenne. Le secrétariat permanent, quant à lui, assure le soutien logistique et administratif au conseil et aux assemblées. Cinq assemblées citoyennes ont déjà été organisées depuis le lancement de ce mécanisme qui a été présenté comme une première mondiale par certains observateurs.
Le deuxième dispositif à avoir attiré l’attention internationale sur la Belgique est la mise en place de commissions délibératives entre parlementaires et citoyens tirés au sort au sein des Parlements de la Région de Bruxelles-Capitale et de l’Assemblée de la Commission communautaire française (communément appelée Parlement francophone bruxellois). Ces commissions délibératives se distinguent du dialogue citoyen permanent en deux points. Premièrement, les commissions sont mixtes, c’est-à-dire constituées de députés et de citoyens tirés au sort. Deuxièmement, les commissions sont intégrées directement dans la structure du Parlement. Les sujets traités sont déterminés par les parlementaires ou par une suggestion de citoyen signée par au moins 1000 personnes de plus de seize ans résidant dans la Région de Bruxelles-Capitale. Ces commissions sont composées de 45 citoyens tirés au sort et des 15 parlementaires membres de la commission compétente selon le sujet traité. Les citoyens sont tirés au sort parmi les résidents de la Région de Bruxelles-Capitale âgés de minimum 16 ans, sans condition de nationalité. Après une séance de préparation destinée aux citoyens tirés au sort, parlementaires et citoyens se rassemblent afin de s’informer sur le sujet de la commission et d’auditionner des experts du sujet. Ils peuvent ensuite débattre et formuler des recommandations. À l’issue du processus, les citoyens et parlementaires votent ces recommandations. Le parlement a ensuite l’obligation d’effectuer le suivi de ces recommandations ou de justifier l’absence de suivi de celles-ci. Depuis leur lancement en avril 2021, 6 commissions délibératives mixtes sont organisées. Enfin, mentionnons également que le Parlement wallon a entamé un processus de commissions délibératives mixtes dont la première est organisée entre octobre 2023 et février 2024.
Ce tournant vise à rendre la démocratie plus participative, en fondant la légitimité démocratique non plus sur le modèle de l’agrégation des votes mais sur la participation des citoyens et leur délibération.
Ces initiatives marquent une nouvelle étape dans le développement des innovations démocratiques qui intègrent désormais les Parlements de manière permanente. Pourtant, les Parlements ne sont pas les seules institutions publiques concernées par ce mouvement : des agents publics sont engagés pour développer des projets de participation citoyenne et des services dédiés à la participation citoyenne sont créées à tous les niveaux de pouvoir. C’est au niveau local, cependant, que ce phénomène est le plus visible. En effet, de nombreux exécutifs locaux ont entrepris d’institutionnaliser le recours à la participation citoyenne en créant un service administratif dédié à cette compétence et en l’attribuant explicitement à un membre de l’exécutif, en particulier depuis les élections communales du 14 octobre 2018. L’arrivée au pouvoir des partis verts, plutôt favorables au développement de dispositifs participatifs dans de nombreux exécutifs communaux, contribue à cette dynamique.
En conclusion, la Belgique connaît une augmentation du nombre de dispositifs participatifs organisés par des acteurs publics et privés. Certains se distinguent par leur caractère permanent institué au sein de Parlements d’entités fédérées du Royaume. À partir de 2018, un nombre croissant de services administratifs entièrement dédiés à la participation citoyenne voient le jour au niveau communal. En 2024, deux élections seront organisées : les élections fédérales, régionales et européennes le 9 juin et communales et provinciales le 13 octobre. Les résultats de ces élections détermineront si les dispositifs permanents de recours à la participation citoyenne créés lors des précédentes législatures seront renforcés ou, au contraire, abandonnés. Si ces processus venaient à être approfondis et renforcés, de nombreuses propositions sont sur la table. Parmi celles-ci, certains observateurs plaident en faveur de l’inscription dans la Constitution de certains dispositifs participatifs.
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