• Loïc Blondiaux
    Loïc Blondiaux
    professeur de sciences politiques à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Propos recueillis par Grégory Pogorzelski

Les fondations des nouvelles démocraties

Loïc Blon­diaux est profes­seur de sciences poli­tiques et ses recherches portent, entre autres, sur les démo­cra­ties parti­ci­pa­tives. Il s’entretient avec nous sur les façons de trans­for­mer les expé­riences démo­cra­tiques en réformes durables. 


Salut & Frater­nité : Quelle est votre défi­ni­tion de la démocratie ?

Loïc Blon­diaux : C’est un idéal de gestion poli­tique qui a trois exigences. La première, c’est l’autogouvernement des peuples : les gens se gouvernent eux-mêmes, et leur gouver­ne­ment existe avec leur consen­te­ment. La seconde, c’est l’idéal de liberté, tant indi­vi­duel que collec­tif. Pour proté­ger ces liber­tés, la commu­nauté établit un état de droit : le gouver­ne­ment ne peut pas agir sans limites, et ces limites sont défi­nies par le droit. Enfin, pour qu’il y ait démo­cra­tie, il faut que la popu­la­tion ait un esprit démo­cra­tique : qu’elle croie à certains prin­cipes, certaines atti­tudes, comme recon­naître qu’une société existe par les efforts de toutes et tous.

(…) pour qu’il y ait démo­cra­tie, il faut que la popu­la­tion ait un esprit démo­cra­tique : qu’ils croient à certains prin­cipes, certaines attitudes

S&F : Tirage au sort, coges­tion des communs, nouvelles formes de reven­di­ca­tion… Que pensez-vous de toutes ces initia­tives démo­cra­tiques qui cherchent à sortir des sentiers battus ?

L.B. : On vit un moment char­nière. D’un côté, on constate le déli­te­ment des insti­tu­tions et le recul des valeurs démo­cra­tiques. De l’autre, on voit appa­raître tout un ensemble de propo­si­tions et d’expériences qui voudraient ouvrir de nouveaux hori­zons, et pallier les insuf­fi­sances des insti­tu­tions. Et ces expé­riences me semblent suivre trois grands axes. D’abord, les initia­tives pour que les citoyens prennent part aux prises de déci­sions poli­tiques. Les demandes de réfé­ren­dum ou de consul­ta­tion popu­laire avant une déci­sion majeure, par exemple. Ensuite, il y a tous les proces­sus déli­bé­ra­tifs, comme les conven­tions et les assem­blées citoyennes. Ceux-ci permettent à un panel supposé repré­sen­ta­tif de faire des propo­si­tions direc­te­ment aux gouver­nants. Enfin, il y a cette enga­ge­ment démo­cra­tique sur l’échelle locale, comme les muni­ci­pa­listes ou le mouve­ment des communs. Les gens et les insti­tu­tions locales, inca­pables de lutter sur le terrain natio­nal ou inter­na­tio­nal, reprennent en main leur muni­ci­pa­lité. Ces mouve­ments ont souvent comme objec­tifs de proté­ger l’environnement ou amélio­rer le tissu social.

S&F : Quels sont les facteurs qui font que ces projets prennent racine ou, au contraire, périclitent ?

L.B. : Il existe des contextes plus ou moins favo­rables. Plusieurs facteurs impor­tants : premiè­re­ment, l’existence d’une véri­table mobi­li­sa­tion ; il faut que les parti­ci­pants, les asso­cia­tions aient un objec­tif commun et concret, se déplacent, agissent sur le terrain. Beau­coup de ces mobi­li­sa­tions s’opposent à des projets nuisibles, comme l’implantation d’une usine polluante. Tout ça crée un terrain, notam­ment asso­cia­tif, qui est propice à la coopé­ra­tion et à la créa­tion d’expériences démocratiques.

Le second facteur, c’est l’existence de leaders. Les milieux sensibles à la ques­tion démo­cra­tique ont tendance à sous-esti­mer l’importance de l’affect et du leader­ship dans l’organisation d’un effort collec­tif. Mais pour que ce collec­tif se démo­cra­tise, il faut égale­ment des leaders démo­cra­tiques : qui inspirent à redis­tri­buer le pouvoir plutôt qu’à le garder, qui utilisent leur auto­rité pour mettre en place des proces­sus qui conti­nue­ront après eux. Ces deux facteurs sont néces­saires pour qu’un mouve­ment naisse et survive.
Ensuite, l’attitude de l’État, de l’administration, des autres pouvoirs et insti­tu­tions envers le mouve­ment peut signer son arrêt de mort.

Et puis il y a le contexte et l’histoire des terri­toires. Certains sont plus dyna­miques sur le plan poli­tique que d’autres, où la venue et le bras­sage de la popu­la­tion se fait de manière plus forte. Ces expé­riences, quand elles réus­sissent, sont souvent portées par une alliance entre les néo-ruraux voulant se bâtir un avenir et les habi­tants de longue date qui viennent appor­ter leur légitimité.

© Joao Marcelo Martins – Unsplash​.com

S&F : Quel avenir voyez-vous à ces initiatives ?

L.B. : Aujourd’hui, ces expé­riences et ces initia­tives consti­tuent une forme d’îlots dans une société, un monde dominé par la logique du marché et de l’État. Ces expé­riences ont valeur d’exemples : elles montrent en pratique que oui, un autre monde est bien possible, concrè­te­ment. Mais la diffu­sion de ces expé­riences se fait à un rythme trop lent pour pouvoir préser­ver le vivant, les commu­nau­tés humaines, les cultures…

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