• Jean-Pascal Labille
    Jean-Pascal Labille
    secrétaire général de Solidaris et président de la Fondation Ceci n’est pas une crise

Le renouvellement démocratique : rétablir la confiance et la cohésion

Les condi­tions de vie se sont consi­dé­ra­ble­ment dété­rio­rées pour une série d’individus et de groupes sociaux. Un nombre impor­tant de citoyen·nes doute profon­dé­ment de l’intérêt que portent les respon­sables poli­tiques face à leurs diffi­cul­tés quotidiennes. 


Des gilets jaunes, nés à l’automne 2018, aux grèves pour les droits des femmes, en passant par les mouve­ments des jeunes pour le climat, de plus en plus de mouve­ments sociaux cris­tal­lisent les senti­ments d’injustice qui frappent la popu­la­tion. Et cela, en marge des mouve­ments syndi­caux et des corps inter­mé­diaires dits « clas­siques », c’est-à-dire, des groupes sociaux et humains consti­tués de manière auto­nome ou non, qui défendent un objec­tif commun et qui se situent entre l’individu et l’État (partis poli­tiques, syndi­cats, mutuelles, asso­cia­tions, etc.).

Nous traver­sons une multi­tude de crises. Ce qu’elles nous enseignent, c’est qu’une trans­for­ma­tion sociale est plus que jamais nécessaire.

Nous devons redé­fi­nir notre système démo­cra­tique pour qu’il soit en mesure de mettre en scène de manière insti­tu­tion­na­li­sée le conflit né du senti­ment de ne pas trou­ver sa place ou d’être reconnu. Autre­ment dit, nos insti­tu­tions démo­cra­tiques doivent se renou­ve­ler et oser porter une certaine forme de conflic­tua­lité à travers un nouveau modèle de gouver­nance plus parti­ci­pa­tif dans lequel les citoyen·nes peuvent s’exprimer librement.

Nous devons défendre l’émergence d’un modèle démo­cra­tique qui réta­blisse la confiance et la cohé­sion sociale. Il ne suffit pas seule­ment de consul­ter les citoyen·nes, il faut égale­ment leur donner accès aux infor­ma­tions et renfor­cer leurs capa­ci­tés d’analyse critique afin qu’ils et elles puissent confron­ter leurs points de vue et remettre en ques­tion les poli­tiques menées.

Il faut oser le débat visant l’instauration d’un modèle de démo­cra­tie plus parti­ci­pa­tif et plus radi­cal. Il n’est cepen­dant pas ques­tion d’affaiblir le rôle de l’État. L’État doit conti­nuer à jouer son rôle de protec­teur et de régu­la­teur. Il doit néan­moins ouvrir son action aux citoyen·nes, aux mouve­ments sociaux émer­geants, aux asso­cia­tions et aux corps intermédiaires.

L’espace public doit assu­rer une forme de repré­sen­ta­ti­vité de la plura­lité des publics mais égale­ment des moda­li­tés de contes­ta­tion pour favo­ri­ser la parti­ci­pa­tion égale des citoyen·nes. Des espaces alter­na­tifs de contes­ta­tion doivent dès lors émer­ger à côté des espaces insti­tu­tion­na­li­sés pour rendre visible les iden­ti­tés, les inté­rêts et les besoins des groupes mino­ri­taires. Ces espaces offrent l’opportunité de dénon­cer les inéga­li­tés sociales et d’exercer un véri­table pouvoir d’influence.

Les corps inter­mé­diaires ont long­temps repré­senté les inté­rêts des citoyen·nes et insti­tu­tion­na­lisé le conflit face aux auto­ri­tés publiques. Ils ont obtenu de nombreuses victoires. Néan­moins, la manière dont ils fonc­tionnent aujourd’hui semble avoir atteint ses limites. Les formes d’engagement social se sont transformées.

Ressus­ci­ter l’engagement et faire corps dans une société frac­tu­rée et désa­bu­sée suppose de s’attaquer non seule­ment au modèle démo­cra­tique exis­tant mais aussi au rôle joué par les corps inter­mé­diaires et les contre-pouvoirs pour soute­nir une certaine forme de cohé­sion sociale.

La démo­cra­tie sans corps inter­mé­diaires est une illu­sion. Ils construisent des espaces de socia­li­sa­tion d’individus ayant des inté­rêts communs, ce qui parti­cipe à l’épanouissement de ceux-ci.

La respon­sa­bi­lité de ces services est déter­mi­nante pour réta­blir un lien de confiance entre les citoyen·nes et les pouvoirs publics. Plus que jamais, ils doivent stimu­ler la réflexion, la parti­ci­pa­tion citoyenne et la mili­tance au sein de leurs organisations.

Une société a besoin de contre-pouvoirs. C’est du conflit et de l’association des inté­rêts communs que pour­ront naître certaines victoires et progrès ainsi que les liber­tés indi­vi­duelles. L’État et les corps inter­mé­diaires sont complémentaires.

La liberté de s’associer pour trans­for­mer la société est le fonde­ment de la démo­cra­tie. Les indi­vi­dus ne sont pas des groupes homo­gènes, uniformes et consen­suels. Les corps inter­mé­diaires sont les seuls en mesure d’offrir une défi­ni­tion plurielle des préoc­cu­pa­tions des indi­vi­dus plus en phase à la multi­pli­cité des combats. Ils portent par ailleurs en eux la conflic­tua­lité et le progrès social.

C’est leur respon­sa­bi­lité de cris­tal­li­ser les colères, les injus­tices, les besoins émer­gents, de les visi­bi­li­ser et d’exiger des réponses concrètes de la part des pouvoirs publics. L’espace entre l’individu et l’État sera toujours occupé. Le risque c’est que s’il n’est pas occupé par des corps inter­mé­diaires, il soit occupé par des groupes non insti­tu­tion­na­li­sés dont on ignore la capa­cité à orga­ni­ser le conflit de manière construc­tive et pacifique.

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