- Lionel Rubin,
chargé de recherche pour la cellule Études & Stratégies du Centre d’Action Laïque
Vit-on un retour à une moralisation de la sexualité ?
S’interroger sur le retour ou non d’une moralisation de la sexualité revient assez rapidement à réaliser qu’il n’y a jamais vraiment eu de sexualité parfaitement immunisée à quelque forme de moralisation que ce soit. La manière dont la société envisage la sexualité reste profondément vissée à un conservatisme qui entend avant tout contrôler les corps, et en particulier celui des femmes.
La loi du 4 juillet 1989, réprimant le viol entre époux, définit le viol comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n'y consent pas. C’est ainsi que le concept de « viol » ne pouvait se concevoir dans le cadre du mariage, dans la mesure où le « devoir conjugal » était une des obligations qui pesait sur les épouses. Confinées dans la sphère privée, elles ne peuvent dès lors disposer ni de leurs biens, ni de leur corps, puisqu’elles doivent obéissance et accomplir leur « devoir conjugal », lequel comprend l’obligation de satisfaire les besoins sexuels des époux.

Si les choses ont évolué ces dernières années, notamment en termes de libertés sexuelles, de plaisir et d’émancipation, trois sujets récents montrent les carcans et les traces indélébiles de cette volonté de contrôle du corps par le biais d’une sexualité « balisée ».
Citons tout d’abord l’actuel débat sur l’IVG. L’impossibilité de faire évoluer la loi vers une plus grande liberté de choix pour les femmes, malgré une majorité au Parlement, résulte avant tout d’une vision réductrice de la femme : celle qui subordonne cette dernière au devoir de reproduction. Les débats autour de la majorité sexuelle lors de la réforme du droit pénal sexuel illustrent également une vision archaïque de la sexualité qui, pour « protéger » les moins de 16 ans, proposait d’interdire toutes formes de sexualité avant cet âge. Enfin, la récente polémique liée à la généralisation de l’EVRAS a démontré de manière claire combien les conservateurs avaient cette faculté d’attiser la panique morale en agitant l’épouvantail école-sexualité.
Ce dernier exemple a d’ailleurs démontré toute la vision moraliste que certains ont de la sexualité. En effet, c’est bien l’accès à l’information, et donc le choix libre qui en découle, qui était attaqué et refusé pour les adolescents, avec cette sentence terrible de Sophie Dechêne, représentante de l’association La Petite Sirène (collectif né dans le cadre des manifestations contre le mariage homosexuel, voir p.6), et qui se fait l’écho d’un autre temps : « l’éducation sexuelle est faite pour les enfants en fin d’adolescence, pas à 12–14 ans, car ils n’ont pas la maturité psychique pour entendre les réponses à leurs questions. »
« (…) c’est en prônant l’autonomie de choix et l’accès à une information fiable et complète que la législation en la matière a progressé (…) »
À l’inverse d’une vision moralisatrice et conservatrice de la sexualité, c’est en prônant l’autonomie de choix et l’accès à une information fiable et complète que la législation en la matière a progressé ces dernières années (droit à l’IVG, lutte contre les violences sexuelles, mariage homosexuel, inscription du stealthing dans le droit pénal…). Ces combats ont notamment été gagnés grâce aux luttes féministes et LGBTQIA+. Ils ont clairement été portés par une conception ouverte de la sexualité, sans tabou, à l’exact inverse de la vision rétrograde portée par les groupes conservateurs, qui considère notamment que la femme est structurellement objet au sein – et au service – d’un couple hétérosexuel censé reproduire.
Extraire la sexualité de cette unique finalité de reproduction et de cette conception hétéronormée est la première étape pour réintégrer la notion de plaisir pour tous les partenaires. La première étape pour briser la chape de plomb qui phagocyte notre rapport à la sexualité et au plaisir. La première étape pour accéder à une information complète et fiable, nous permettant de faire des choix éclairés au sujet de notre vie sexuelle, dans le respect de notre corps et de celui des autres.
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