• Lionel Rubin
    Lionel Rubin
    chargé de recherche pour la cellule Études & Stratégies du Centre d’Action Laïque

L’EVRAS, un guide tant attendu !

Qu’on se le dise : l’année 2023 est en passe de marquer un véri­table tour­nant dans la géné­ra­li­sa­tion de l’EVRAS en milieu scolaire.


Pour la première fois, les ministres de l’Enseignement (Fédé­ra­tion Wallo­nie-Bruxelles) et de la Santé (Région wallonne et Région bruxel­loise) se sont accor­dées pour insti­tu­tion­na­li­ser un certain nombre d’animations EVRAS durant la scola­rité des élèves, via un accord de coopé­ra­tion qui liera les enti­tés fédé­rées entre elles. Certes, il faudra à l’avenir renfor­cer le nombre d’animations, mais rete­nons surtout que l’EVRAS va enfin s’institutionnaliser et qu’elle ne dépen­dra plus unique­ment de la (non-)volonté de telle ou telle école. C’est donc un énorme pas en avant.

Par ailleurs, plusieurs reven­di­ca­tions portées par le Centre d'Action Laïque et la Plate­forme EVRAS ont été rencon­trées dans ce texte qui devrait très prochai­ne­ment voir le jour, comme un finan­ce­ment propre et struc­tu­rel pour les anima­tions, ou la labé­li­sa­tion des actrices et acteurs de l’EVRAS. Enfin, un « guide des conte­nus » offrira un cadre réfé­ren­tiel complet et des balises communes pour les professionnel·les en contact avec les jeunes. C’est d’ailleurs ce guide qui a été l’objet d’une vive polé­mique en décembre 2022 ; cette dernière illus­trant une nouvelle fois à quel point l’EVRAS reste la cible d’attaques, et combien la sexua­lité demeure un sujet tabou.

« (…) les quelques critiques de départ marquaient en réalité une attaque géné­ra­li­sée contre une EVRAS moderne et encadrée »

En réalité, ce guide a été réalisé par les Stra­té­gies concer­tées (une concer­ta­tion regrou­pant 25 struc­tures coupoles liées de près ou de loin à l’enseignement et à la santé), et relu par une cinquan­taine d’expert·es en péda­go­gie et en santé. Son contenu repose notam­ment sur l’entretien avec un panel diver­si­fié de 380 élèves, mais aussi sur les réfé­ren­tiels de certains cours du tronc commun et sur une compi­la­tion de 89 réfé­ren­tiels natio­naux et inter­na­tio­naux. L’objectif de ce guide est d’instituer un cadre de réfé­rence commun au contenu des anima­tions EVRAS, indé­pen­dam­ment du contexte dans lequel elles se donnent. Concrè­te­ment, il recense l’ensemble des théma­tiques qui peuvent – ou non – émer­ger de la part des enfants et des jeunes en fonc­tion de leur âge, et donc suscep­tibles d’être abor­dées en classe. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un programme à suivre, encore moins d’un docu­ment destiné aux enfants.

Pour­tant, ce guide, une fois acces­sible, a fait l’objet d’une vive polé­mique. En octobre 2022, au bout de trois ans de travail, le secteur de l’EVRAS annonce en effet la publi­ca­tion de ce réfé­ren­tiel commun. Quelques semaines plus tard, une séquence média­tique d’un jour­nal parlé offre trois minutes de parole à une pédo­psy­chiatre, qui émet des critiques sur deux passages du guide. Ces deux passages sortis de leur contexte (sur les quelque 300 pages) évoquent la ques­tion des iden­ti­tés de genre et le phéno­mène des sextos. Le cock­tail explo­sif famille/école/sexualité est ainsi secoué. Les médias s’emparent du sujet et certains en profitent pour atti­ser une panique morale au nom de valeurs conservatrices.

© D.R.

Les auteurs du guide se rendent rapi­de­ment compte que les critiques dépassent la simple remise en cause de deux-trois passages précis. D’ailleurs, la pédo­psy­chiatre en ques­tion géné­ra­lise rapi­de­ment son propos, préci­sant que les ques­tions rela­tives à la sexua­lité ne doivent pas faire l’objet de réponse avant mini­mum 14 ans. Les auteurs du guide se rendent égale­ment compte que les quelques pédo­psy­chiatres réunis derrière ces critiques ne sont pas réunis fortui­te­ment à ce sujet. Il s’agit en réalité de la section belge de l’association fran­çaise La Petite Sirène, dont les direc­trices fran­çaises sont juste­ment de passage à Bruxelles pour une confé­rence sur la tran­si­den­tité des jeunes, et qui s’est notam­ment struc­tu­rée lors des mani­fes­ta­tions fran­çaises contre le mariage homo­sexuel. Quelques recherches permettent égale­ment de tomber sur une enquête de Média­part qui fait le lien entre « La Petite Sirène » et certaines figures de la droite iden­ti­taire fran­çaise. La séquence belge du JT est d’ailleurs très rapi­de­ment relayée par Eric Zemmour. Ainsi, il est rapi­de­ment apparu que les quelques critiques de départ marquaient en réalité une attaque géné­ra­li­sée contre une EVRAS moderne et enca­drée, comme lors de chaque avan­cée en la matière depuis les années 1970. En cela, l’objectif est en quelque sorte atteint puisque l’officialisation de l’accord de coopé­ra­tion prévue est repous­sée, malgré des décen­nies d’attente.

Cette nouvelle attaque illustre donc des décen­nies de tabou et invite à la plus grande vigi­lance face à des personnes et orga­nismes conser­va­teurs pour lesquels l’accès à l’information et le choix éclairé pose­ront toujours problème, en parti­cu­lier en matière de sexua­lité. Pour­tant, l’EVRAS repose avant tout sur une poli­tique de préven­tion en matière de santé publique et devrait rassem­bler toutes celles et ceux préoccupé·es par le bien-être des enfants, qu’il s’agisse de leur sexua­lité, de leurs senti­ments ou de leurs rela­tions aux autres.

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