• Francine Duquet
    Francine Duquet
    Ph.D., sexologue spécialisée dans l’éducation à la sexualité, professeure au Département de sexologie à l’Université du Québec à Montréal

Hypersexualisation sociale, sexualisation précoce : qu’en est-il ?

L’hypersexualisation sociale ou la « sexua­li­sa­tion de l’espace public » font réfé­rence à la présence impor­tante d’images sexua­li­sées dans les médias (publi­ci­tés, télé­réa­li­tés, jeux vidéo, vidéo­clips, réseaux sociaux, télé­sé­ries, etc.) et à l’accès facile à du contenu sexuel­le­ment expli­cite (ex. : cyber­porno 1 2).


L’exposition précoce à des réfé­rences sexuelles desti­nées aux adultes3, alors que les enfants ou les ados ne sont pas encore prêts sur le plan psycho­lo­gique, émotion­nel ou physique à faire face à la sexua­lité de la sorte4, peut créer un déca­lage entre leur déve­lop­pe­ment physique et psycho­lo­gique5. Certains parle­ront de « sexua­li­sa­tion précoce6 » ou de « sursexua­li­sa­tion des enfants3 ».

Parents et inter­ve­nants sont préoc­cu­pés par le fait que les jeunes puissent décou­vrir la sexua­lité de cette manière7. De même, certains cher­cheurs recon­naissent la présence d’une suren­chère sexuelle dans les médias, mais estiment, cepen­dant, que les effets de l’hypersexualisation sont sures­ti­més, cela n'affectant ni le début précoce d'une vie sexuelle active (la sexua­li­sa­tion précoce étant égale­ment asso­ciée à l’âge auquel des mineurs ont leurs premières acti­vi­tés sexuelles), ni les valeurs morales des jeunes8. D'autres soulignent que le discours entou­rant ces phéno­mènes perpé­tue le contrôle social du corps des femmes9 et met trop l'accent sur la respon­sa­bi­lité des filles10.

Bien que certaines de ces critiques puissent être légi­times, il existe néan­moins de réels impacts et préoc­cu­pa­tions autour de ces phéno­mènes. Les enjeux liés à l’hypersexualisation sociale et à la sexua­li­sa­tion précoce sont complexes et variés, et peuvent être répar­tis en trois catégories.

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Les enjeux socio­sexuels concernent d’abord la commer­cia­li­sa­tion de la sexua­lité. On parle plus préci­sé­ment d’exposition constante à divers thèmes et images pouvant non seule­ment conduire à l'acceptation de repré­sen­ta­tions sexuelles comme étant la norme (assi­mi­la­tion11) mais aussi renfor­cer les stéréo­types sexuels, l’objectivation des femmes et les rapports inéga­li­taires12 13. Cette pres­sion pour se confor­mer à des rôles fémi­nins hyper­sexua­li­sés14 et aux idéaux de beauté cultu­rels15 peut mener, par exemple, à de l’insatisfaction corpo­relle, à la construc­tion de la repré­sen­ta­tion de soi avec l’idée que la dési­ra­bi­lité sexuelle est un aspect impor­tant de l’identité (sexua­li­sa­tion inté­rio­ri­sée) et à des attentes irréa­listes concer­nant la sexua­lité et les rela­tions amou­reuses. De plus, la révo­lu­tion tech­no­lo­gique des écrans, avec l’omniprésence d'Internet et des réseaux sociaux16, peuvent avoir un impact sur les rela­tions sociales17 et faci­li­ter le dévoi­le­ment de soi, pouvant affec­ter par le fait même la concep­tion de l'intimité18 (ex. : confu­sion sphères publique et privée19). D’ailleurs, on remarque que des pratiques sexuelles assis­tées par les tech­no­lo­gies numé­riques sont de plus en plus inté­grées dans le réper­toire sexuel des jeunes (ex. : regar­der volon­tai­re­ment du maté­riel porno­gra­phique, sexter, photo­gra­phier ou filmer un ou une parte­naire)20.

Les enjeux asso­ciés au déve­lop­pe­ment psycho­sexuel des enfants et des ados relèvent essen­tiel­le­ment de la protec­tion du droit à l’enfance et à l’adolescence. Ainsi, l’exposition précoce à des univers sexuels non appro­priés pour un public jeunesse engendre des réali­tés disso­nantes, voire trou­blantes pour leur âge et leur déve­lop­pe­ment21. Il s’agit égale­ment de préve­nir les risques liés à l’exposition de son inti­mité sur les réseaux sociaux et à toute forme de violence sexuelle y étant asso­ciée (ex. : slut-shaming, partage non consen­suel d’images intimes, cybe­rin­ti­mi­da­tion, solli­ci­ta­tions sexuelles non dési­rées et sextor­sion)22–29.

Enfin, l’éducation à la sexua­lité est un enjeu crucial. En effet, certains parents30 et inter­ve­nants30 connaissent mal ces phéno­mènes ou manquent d’aisance pour inter­ve­nir. Sans comp­ter que la mise en œuvre d’une démarche d’éducation à la sexua­lité en milieu scolaire se révèle inégale ou insuf­fi­sante. Le besoin de forma­tion31 et d’outils didac­tiques « clé en main » et effi­cients32 est réel.

En conclu­sion, pour préve­nir les risques liés à ces phéno­mènes, l’éducation à la sexua­lité33 joue un rôle essen­tiel en favo­ri­sant des rela­tions égali­taires (fonde­ment de toute éduca­tion à la sexua­lité), en déve­lop­pant l’esprit critique à l’égard de certains messages média­tiques (ce qui permet de prendre du recul quant à leur possible influence), en renfor­çant l'estime et l’affirmation de soi (un grand clas­sique !) ainsi qu’en encou­ra­geant la bien­veillance et le respect mutuel (ce regard sensible porté sur l’autre peut frei­ner pres­sions, insultes ou objec­ti­va­tions). À nous, adultes, de les accom­pa­gner dans cette réflexion combien riche et nécessaire.


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  3. CHU, 2018 ; Hamel et Naves, 2012.
  4. Levin et Kilbourne, 2009 ; Papa­do­pou­los, 2010.
  5. Levin et Kilbourne, 2009.
  6. Destal, 2010 ; CHU Ste-Justine, 2018 ; Bouchard, Bouchard et Boily, 2005 ; 2014.
  7. Baker, 2016 ; Chau­me­ron, 2003 ; Folscheid, 2002 ; Marzano, 2002.
  8. Blais et al., 2009.
  9. Caron, 2014 ; Mercier, 2020.
  10. Caron, 2014.
  11. Graff, Murnen et Krause, 2013.
  12. Gouver­ne­ment du Québec, 2022.
  13. APA, 2007 ; Vanden­bosch & Egger­mont, 2015 ; Ragsdale et al., 2014 ; Bleak­ley et al., 2017
  14. Graff, Murnen, et Krause, 2013.
  15. García-Gómez, 2018.
  16. Blaya, 2015.
  17. Vogels, Gelles-Watnick et Massa­rat (2022)
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  19. Jiang et al., 2011.
  20. Kotiuga et al., 2022.
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BIBLIOGRAPHIE

https://​editions​.sisyphe​.org/​L​a​-​s​e​x​u​a​l​i​s​a​t​i​o​n​-​p​r​e​c​o​c​e​-​des

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