• Lionel Rubin
    Lionel Rubin
    chargé de recherche pour la cellule Études & Stratégies du Centre d’Action Laïque

Vit-on un retour à une moralisation de la sexualité ?

S’interroger sur le retour ou non d’une mora­li­sa­tion de la sexua­lité revient assez rapi­de­ment à réali­ser qu’il n’y a jamais vrai­ment eu de sexua­lité parfai­te­ment immu­ni­sée à quelque forme de mora­li­sa­tion que ce soit. La manière dont la société envi­sage la sexua­lité reste profon­dé­ment vissée à un conser­va­tisme qui entend avant tout contrô­ler les corps, et en parti­cu­lier celui des femmes. 


La loi du 4 juillet 1989, répri­mant le viol entre époux, défi­nit le viol comme tout acte de péné­tra­tion sexuelle, de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n'y consent pas. C’est ainsi que le concept de « viol » ne pouvait se conce­voir dans le cadre du mariage, dans la mesure où le « devoir conju­gal » était une des obli­ga­tions qui pesait sur les épouses. Confi­nées dans la sphère privée, elles ne peuvent dès lors dispo­ser ni de leurs biens, ni de leur corps, puisqu’elles doivent obéis­sance et accom­plir leur « devoir conju­gal », lequel comprend l’obligation de satis­faire les besoins sexuels des époux.

Il existe encore des concep­tions de la vie rela­tion­nelle, sexuelle et affec­tive qui irritent les milieux conser­va­teurs. – © Ave Calvar – Unsplash​.com

Si les choses ont évolué ces dernières années, notam­ment en termes de liber­tés sexuelles, de plai­sir et d’émancipation, trois sujets récents montrent les carcans et les traces indé­lé­biles de cette volonté de contrôle du corps par le biais d’une sexua­lité « balisée ».

Citons tout d’abord l’actuel débat sur l’IVG. L’impossibilité de faire évoluer la loi vers une plus grande liberté de choix pour les femmes, malgré une majo­rité au Parle­ment, résulte avant tout d’une vision réduc­trice de la femme : celle qui subor­donne cette dernière au devoir de repro­duc­tion. Les débats autour de la majo­rité sexuelle lors de la réforme du droit pénal sexuel illus­trent égale­ment une vision archaïque de la sexua­lité qui, pour « proté­ger » les moins de 16 ans, propo­sait d’interdire toutes formes de sexua­lité avant cet âge. Enfin, la récente polé­mique liée à la géné­ra­li­sa­tion de l’EVRAS a démon­tré de manière claire combien les conser­va­teurs avaient cette faculté d’attiser la panique morale en agitant l’épouvantail école-sexualité.

Ce dernier exemple a d’ailleurs démon­tré toute la vision mora­liste que certains ont de la sexua­lité. En effet, c’est bien l’accès à l’information, et donc le choix libre qui en découle, qui était atta­qué et refusé pour les adoles­cents, avec cette sentence terrible de Sophie Dechêne, repré­sen­tante de l’association La Petite Sirène (collec­tif né dans le cadre des mani­fes­ta­tions contre le mariage homo­sexuel, voir p.6), et qui se fait l’écho d’un autre temps : « l’éducation sexuelle est faite pour les enfants en fin d’adolescence, pas à 12–14 ans, car ils n’ont pas la matu­rité psychique pour entendre les réponses à leurs questions. »

« (…) c’est en prônant l’autonomie de choix et l’accès à une infor­ma­tion fiable et complète que la légis­la­tion en la matière a progressé (…) »

À l’inverse d’une vision mora­li­sa­trice et conser­va­trice de la sexua­lité, c’est en prônant l’autonomie de choix et l’accès à une infor­ma­tion fiable et complète que la légis­la­tion en la matière a progressé ces dernières années (droit à l’IVG, lutte contre les violences sexuelles, mariage homo­sexuel, inscrip­tion du steal­thing dans le droit pénal…). Ces combats ont notam­ment été gagnés grâce aux luttes fémi­nistes et LGBTQIA+. Ils ont clai­re­ment été portés par une concep­tion ouverte de la sexua­lité, sans tabou, à l’exact inverse de la vision rétro­grade portée par les groupes conser­va­teurs, qui consi­dère notam­ment que la femme est struc­tu­rel­le­ment objet au sein – et au service – d’un couple hété­ro­sexuel censé reproduire.

Extraire la sexua­lité de cette unique fina­lité de repro­duc­tion et de cette concep­tion hété­ro­nor­mée est la première étape pour réin­té­grer la notion de plai­sir pour tous les parte­naires. La première étape pour briser la chape de plomb qui phago­cyte notre rapport à la sexua­lité et au plai­sir. La première étape pour accé­der à une infor­ma­tion complète et fiable, nous permet­tant de faire des choix éclai­rés au sujet de notre vie sexuelle, dans le respect de notre corps et de celui des autres.

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