• July Robert
    July Robert
    chargée d’études et d’analyses chez Présence & Action Culturelle.

Suppression du statut de cohabitant·e, une longue lutte prête à (enfin) aboutir 

C’est dans un contexte budgé­taire compli­qué lié à une situa­tion instable au niveau inter­na­tio­nal qu’est adop­tée, en 1981, la loi D’Hoore. Infla­tion galo­pante, crise écono­mique, « chômage massif », les auto­ri­tés belges décident de créer trois caté­go­ries d’allocataires en assu­rance chômage pour faire face à cette crise : chef·fe de ménage, isolé·e et cohabitant·e.


Alors que depuis la créa­tion de la Sécu­rité sociale, la domi­na­tion patriar­cale dans la répar­ti­tion des droits est légion, celle-ci reste prégnante dans la nouvelle loi qui reste fondée sur un modèle « familialiste ».

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la dimen­sion patriar­cale des rapports au travail rému­néré est la norme. Ainsi, la dépen­dance écono­mique de la femme au foyer ou en emploi d’appoint de manière discon­ti­nue consti­tue le modèle socié­tal en vigueur. Dès le début des discus­sions, en 1980, les orga­ni­sa­tions de femmes se sont mobi­li­sées contre ce statut. Elles récla­maient notam­ment que la situa­tion fami­liale n’ait pas d’incidence sur les droits sociaux des femmes travailleuses se trou­vant contraintes de dépendre de leur compa­gnon. Ce dernier était en effet, par défaut, consi­déré comme le chef de famille. La loi D’Hoore basant ses critères sur la rela­tion de parenté, dont le mariage et plus tard la coha­bi­ta­tion légale, le titu­laire avec personnes à charge est quali­fié de « chef de famille ». Ainsi, les personnes « n’ayant pas charge de famille » voient leurs allo­ca­tions réduites, d’autant dans un modèle reven­di­quant la soli­da­rité fami­liale. Déjà à l’époque, les asso­cia­tions fémi­nistes dénoncent ce système qui favo­rise le modèle de la femme au foyer plutôt que de promou­voir l’autonomie finan­cière des femmes par le travail ou par l’octroi de droits propres sur base de coti­sa­tions, de crédit-temps ou d’un travail à temps partiel.

le statut de cohabitant·e ressemble de plus en plus à une aber­ra­tion car il empêche tout prin­cipe de solidarité…

Quarante ans plus tard, malgré les évolu­tions socié­tales ayant vu, notam­ment, les femmes sortir du carcan domes­tique dans lequel elles étaient enfer­mées depuis des dizaines d’années, le statut de cohabitant·e conti­nue à renfor­cer leur dépen­dance écono­mique à l’égard de leur conjoint et à miner le prin­cipe de soli­da­rité collec­tive. En créant cette situa­tion de dépen­dance et d’isolement rela­tion­nel contraire à l’autonomie des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes, ce statut contri­bue à la repro­duc­tion d’un modèle patriar­cal aujourd’hui complè­te­ment dépassé.

Consé­quences sociales et socié­tales, enjeux et perspectives

Dans une société en pleine muta­tion, le statut de cohabitant·e ressemble de plus en plus à une aber­ra­tion car il empêche tout prin­cipe de soli­da­rité. Impos­sible aujourd’hui d’accueillir sous son toit une personne malade, en inva­li­dité sans voir une dimi­nu­tion dras­tique de ses allo­ca­tions par la perte de son statut de personne isolée. Diffi­cile aujourd’hui d’envisager vivre en collo­ca­tion ou encore de coha­bi­ter avec une personne pension­née … Qu’est-ce que ce statut dit de notre vie en société ? À l’heure des familles mono­pa­ren­tales, des habi­tats collec­tifs, des familles recom­po­sées et autres modes de vie commu­nau­taire, la notion d’« un couple sous un toit » n’est défi­ni­ti­ve­ment plus la norme.

© C‑Paje

Aujourd’hui, la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes rassemble de plus en plus d’adeptes et le statut de cohabitant·e crée des situa­tions de dépen­dance qui y sont profon­dé­ment contraires. Le coût des loge­ments, la préser­va­tion de l’environnement, l’évolution des modes de rela­tions sont autant de facteurs qui mènent à diver­si­fier les types de coha­bi­ta­tion. La suppres­sion du statut de cohabitant·e permet­trait aussi de lutter contre l’isolement social et le mal-loge­ment. Cette mesure coupe­rait l’herbe sous le pied des « marchand·es de sommeil », avec des béné­fices non-négli­geables non seule­ment en termes de santé publique, mais aussi au niveau envi­ron­ne­men­tal en ne parti­ci­pant pas au main­tien de ces bâti­ments « boîtes aux lettres », demeu­rant bien souvent de réelles passoires énergétiques.

Campagne de sensi­bi­li­sa­tion et d’information

C’est dans ce contexte qu’une vaste campagne, « Statut de cohabitant·e, 100 % perdant·e », a été lancée conjoin­te­ment en 2022 par le mouve­ment Présence et Action Cultu­relle (PAC) et le Centre d’Information et d’Éducation Popu­laire (CIEP) du Mouve­ment Ouvrier Chré­tien (MOC), pour faire pres­sion sur le poli­tique en vue des élec­tions de 2024. Paral­lè­le­ment, ces asso­cia­tions d’éducation perma­nente ont égale­ment mis en place, avec le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP), une plate­forme1 afin de mutua­li­ser toutes les forces sur le terrain qui se déclarent contre le statut de cohabitant·e. Objec­tif ? La suppres­sion le plus rapi­de­ment possible de ce statut de cohabitant·e, rien de moins !


  1. Stop au statut de cohabitant·e maintenant !

 

La fin du statut de cohabitant·e, une préoc­cu­pa­tion laïque

Lors de sa récente Conven­tion, le Centre d’Action Laïque (ses 7 régio­nales et ses quelque 300 asso­cia­tions) a fait de la suppres­sion du statut de cohabitant·e une prio­rité de travail pour les années à venir. Pour les mili­tants et sympa­thi­sants laïques, atta­chés aux valeurs de liberté, d’égalité et de soli­da­rité, l’émancipation humaine doit en effet se coupler à un authen­tique projet d’émancipation sociale.

Rappe­lons égale­ment que le montant des allo­ca­tions versées aux béné­fi­ciaires d’aide sociale et de sécu­rité sociale demeure souvent en-dessous du seuil de pauvreté lorsque ces personnes sont coha­bi­tantes ou isolées.

Pour le mouve­ment laïque, il est donc urgent d’avancer dans le sens de l’individualisation des droits sociaux, pièce essen­tielle pour lutter effi­ca­ce­ment contre la pauvreté, tout comme le sont le relè­ve­ment des allo­ca­tions sociales au-dessus du seuil de pauvreté et l’automatisation de l’octroi de la plupart des allo­ca­tions afin d’éviter les non-recours.

< Retour au sommaire