- Dominique De Vos,
présidente de la commission socio-économique du Conseil des Femmes Francophones de Belgique (CFFB)
Justice sociale et humanité
Dix associations1 se sont regoupées pour intervenir en défense des plaignants contre l’ONEM à propos d’une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle concernant le caractère discriminatoire du statut du chômeur cohabitant par rapport à celui d’isolé.
Une histoire comme tant d’autres
Il et elle vivent dans la même maison, séparément mais en partageant un certain nombre d’occupations. Alternant jobs et chômage, ils bénéficient d’allocations au taux isolé, voire cheffes de ménage à cause d’un fils encore aux études. Un contrôle à domicile de l’ONEM établit qu’ils sont cohabitants de fait. Sanctions : remboursement des allocations indues durant les périodes où ils se déclaraient être isolés et suspension des allocations durant 13 semaines pour déclaration erronée. Ils introduisent un recours au titre d’une discrimination entre chômeurs cohabitants et isolés, devant le Tribunal du travail de Liège qui donne raison à l’ONEM. En appel, la Cour du Travail reconnaît la discrimination et décide d’interroger la Cour Constitutionnelle quant à la compatibilité de la règlementation du chômage avec la Constitution2, la directive européenne3 relative à l’égalité entre hommes et femmes dans les régimes légaux de sécurité sociale et la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
Les enjeux
Premièrement, la branche du chômage étant réglementée par arrêté royal4 et non par une loi, la Cour constitutionnelle pourrait, devrait, se déclarer compétente si elle se basait sur l’arrêté-loi du 28 XII 1944 concernant la Sécurité sociale des travailleurs5 qui impose de tenir compte de la composition du ménage du chômeur dans les montants d’allocations. L’arrêté chômage de 1991 n'en a fait que l’exécution.
Deuxièmement, la dégressivité des allocations n’a cessé de dégrader la situation des chômeurs, cohabitants plus particulièrement, dès le début du chômage et jusqu’à ne leur accorder en 3e période qu’un forfait de 672 €/mois, soit 2 fois moins que celui de l’isolé (1.296 €/mois). Ce montant équivalent à celui du Revenu d’Intégration Sociale (RIS) est en dessous du seuil de pauvreté ! Une foule de témoignages expriment une descente aux enfers physique et morale.
Et troisièmement, la discrimination fondée sur le sexe a été reconnue sur base des statistiques H/F par la Cour de Justice de Luxembourg (arrêt du 7‑V-1991) qui, de manière invraisemblable et inique, l’a justifiée au motif que notre réglementation de chômage avait pour objectif de « donner au revenu de remplacement le caractère d’un minimum social garanti aux familles », niant ainsi les fondements d’assurance sociale belge et l’assimilant à un régime d’assistance. Aujourd’hui, 53 % des chômeuses sont cohabitantes contre 42 % des chômeurs mais la différence a perduré dans le temps. De plus, en 3e période, on compte 38 % de femmes et 24 % d’hommes.
Quelle que soit l’appréciation de la Cour Constitutionnelle, les organisations féministes demandent que l’on abandonne les mécanismes de modulation familiale qui pervertissent l’attribution des revenus de remplacement de Sécu. Ce qui suppose de procéder à une individualisation de toutes les prestations y compris celles de droits dérivés telles les majorations pour adulte à charge, tout en veillant à ne pas appauvrir les bénéficiaires de ces dernières. À court terme, le relèvement de l’allocation des cohabitants est indispensable, par humanité.
- Voir le communiqué de presse de novembre 2022.
- Articles 10 et 11.
- 79/7 CEE du 18 décembre 1978.
- Du 25 novembre 1991.
- Article 7.