• Christine Mahy
    Christine Mahy
    secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP)

Et si nous avions l’audace de revendiquer le droit à l’aisance ?

Derrière la manière de nommer le combat contre les inégalités et leurs conséquences illégitimes que sont l’appauvrissement et/ou la pauvreté durable – « À la reconquête du pouvoir de vivre » ou encore « Place au pouvoir de vivre » – les premières et premiers concerné.es qui militent au Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP) défendent le droit à l’aisance !


Une société en projet, une société solidaire et collective engagée dans le combat contre les inégalités, une société au travail pour la paix sociale et préoccupée par la démocratie, une société qui veut garantir une traversée de la vie dans la dignité, se doit d’organiser et gérer les ressources communes dans l’objectif que chacune et chacun bénéficient de ce droit à l’aisance. À savoir, le droit à un logement décent peu énergivore et payable (y compris les droits à l’eau et à l’énergie), le droit à une alimentation sans tendre la main et saine, le droit à la mobilité évitant tout isolement et le non-recours à d’autres droits, le droit à des conditions de vie au bénéfice de la santé et l’accès aux soins de santé, le droit à un enseignement gratuit qui réussisse avec tout le monde, le droit d’accéder à tous droits dans un dialogue direct avec une personne humaine. Libérée de la lutte quotidienne pour tenter d’arracher et/ou de maintenir ses droits vitaux et structurants, les 25 % de la population wallonne qui connaissent la pauvreté, l’appauvrissement ou la vie en flux tendu, pourraient cesser de se voir imposer d’auto-dilapider leurs créativités, leurs potentiels, leurs forces, leurs confiances, pour uniquement tenir dans la survie… au mieux. Car elles et ils souhaitent participer à la vie en société, contribuer par un travail décent et librement choisi, investir les réalités d’aujourd’hui, donner de la perspective à leurs enfants.

Dans l’attente d’une révision de fond, mieux vaut connaître ses droits. © Tim Gouw – Unsplash.com

Supprimer le statut de cohabitant·e, un des leviers majeurs pour accéder au droit à l’aisance

Comme si les violences institutionnelles et sociétales infligées par la marchandisation accrue de ses droits et par le dogmatisme de la méritocratie individuelle dans lequel certain.es se réfugient pour légitimer les inégalités ne suffisaient pas, les libertés individuelles et la vie privée de ceux qui usent leurs forces pour survivre sont également très fortement affectées. L’hyper-conditionnalisation et l’hyper-contrôle banalisés pour accéder à certains droits et aides sont malheureusement trop souvent le quotidien des ménages en lutte. L’application du statut de cohabitant·e qui conduit à réduire drastiquement les revenus de certaines catégories de personnes est une application des plus violentes de l’atteinte à la vie privée et à la liberté, dès lors à la dignité humaine. Ainsi des personnes se voient imposer un choix de vie, et un contrôle permanent sur ce choix de vie, au risque de perdre une part de leur revenu, le plus souvent encore sous le seuil de pauvreté. Vous vivez avec un revenu de la Sécurité sociale ou de l’aide sociale ou vous bénéficiez d’un complément de pension (la GRAPA), et vous vous aimez… si vous voulez ne pas vivre plus pauvre, alors vivez séparé ! Outre l’amour, les solidarités et la participation à solutionner les défis1 d’aujourd’hui ne peuvent actuellement être le choix libre de la vie des personnes qui vivent d’un revenu prévu par notre système solidaire à travers la Sécurité sociale, les droits dérivés et de façon résiduaire l’aide sociale (RIS2)… sans courir le risque de voir ce revenu amputé d’une partie importante… et sans courir le risque d’être sous contrôle permanent de la vie privée… un comble !

L’application du statut de cohabitant·e (…) est une application des plus violentes de l’atteinte à la vie privée et à la liberté (…)

Les vertus de la suppression de ce statut indigne sont nombreuses3. Si certaines sont financières, elles vont bien au-delà. On le voit, l’application du statut de cohabitant·e est contraire au droit à l’aisance, au pouvoir de vivre, au respect de la vie privée et aux libertés individuelles, à la dignité humaine ; elle est contraire à la résolution des problèmes vitaux et démocratiques qui imposent des évolutions et solutions solidaires rapides plus que jamais ; elle fossilise les inégalités plutôt que de les combattre. Une gestion politique démocratique digne ne peut laisser perdurer cette violence matérielle et ­immatérielle.


  1. Les solutions intergénérationnelles par le logement, le co-logement pour optimaliser l’occupation des logements au bénéfice de la résolution de la crise structurelle du logement et des enjeux climatiques, la sortie du sans-abrisme, le combat contre les violences faites aux femmes, etc.
  2. Revenu d’intégration sociale (CPAS)
  3. 20 vertus à la suppression du statut de cohabitant.
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