• Brieuc Guffens
    Brieuc Guffens
    responsable des publications chez Média Animation

Libres en ligne ? Les algorithmes sur la sellette

La naissance d’Internet fut bercée d’utopies : cet espace virtuel s’est rêvé indépendant, libre et ouvert, affranchi d’enjeux financiers et de pressions politiques. À cet idéal technophile a répondu une autre posture, platement technophobe, dénonçant Internet pour l’enfermement idéologique et informationnel qu’il impose, pointant le capitalisme débridé qui s’y déploie. Comment situer sa propre utilisation du numérique entre ces deux perceptions radicales ? Quel rôle spécifique les algorithmes de recommandation jouent-ils dans le conditionnement de nos libertés ?


Les algorithmes se basent sur nos expériences de navigation pour prédire les contenus qui nous intéresseront le plus. Ils s’inspirent aussi des explorations d’individus « qui nous ressemblent », et supposent des intérêts similaires. Leur rôle est finalement assez simple : faciliter notre expérience et, surtout, s’assurer de notre assiduité sur la plateforme en question. Le système qui régit la navigation connectée est celui d’une économie de l’attention. Au plus les algorithmes de recommandation sont performants, au plus longtemps nous resterons connectés à la plateforme en question, générant pour elle des revenus publicitaires.

Ces recommandations algorithmiques, nous les exploitons plus que de raison. Elles sont par exemple « à l’origine de 70 % des consultations de vidéos sur YouTube, soit 250 millions d’heures par jour dans le monde 1». Si nous sommes libres de produire et diffuser des contenus sur cette plateforme, et le sommes a priori tout autant pour ce qui est d’en consulter, les algorithmes font office d’intermédiaire. Ils font émerger une infime partie de l’iceberg, celle qui nous plaira le plus, et pas nécessairement la plus « qualitative ». A été dénoncée ces dernières années la malice avec laquelle ils nous « forcent » à rester dans une zone de confort, en évitant de nous confronter à des contenus en divergence avec nos opinions. Constatant la popularité des contenus qui « clivent » et font débat, ils sont aussi responsables de la diffusion de contenus douteux. Ils reproduisent les systèmes de domination à l’œuvre dans nos sociétés, pour offrir un « confort » à la majorité des utilisateurs. Les algorithmes ne s’encombrent pas d’éthique.

Les internautes sont-ils alors enfermés dans des usages « programmés » pour eux ? Face à la froideur « intéressée » des machines, nous pouvons opposer deux démarches. L’une s’appuie sur des actions explicites : les clics, partages et valorisations de contenus nous appartiennent et doivent faire l’objet de choix conscients. L’autre exploite une posture implicite : en se mettant dans la peau d’un autre, on peut « pervertir » les algorithmes, se réapproprier une liberté d’action et ré-enchanter le hasard 2. Mais c’est aussi aux géants du web qu’il faut signifier une envie de changement, et militer pour qu’ils éduquent leurs algorithmes à autre chose que la valorisation de contenus publicitaires.


  1. Le Monde, L’algorithme de recommandation de YouTube critiqué pour sa mise en avant de contenus extrêmes, Paris, Le Monde, 16/10/2019.
  2. www.algopinion.brussels
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