• Gaëlle Peters
    Gaëlle Peters
    responsable ressources au Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP)

Des inégalités numériques au non-recours aux droits

Pour le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), les inéga­li­tés numé­riques sont intrin­sè­que­ment liées aux condi­tions socio-écono­miques de la popu­la­tion, celles-là mêmes qui jouent un rôle dans l’accès à de nombreux droits quels qu’ils soient.


Il s’agit de s’attaquer aux racines de la pauvreté, causes majeures des inéga­li­tés et de construire des solu­tions struc­tu­relles. En effet, comment être équipé au niveau infor­ma­tique sans un revenu qui permet d’avoir une connexion Inter­net, un ordi­na­teur, une impri­mante ou sans accès à des forma­tions scolaires de qualité… Le loge­ment est aussi en cause : s’il est exigu, sans espace au calme, il ne permet pas par exemple à un étudiant d’être dans les condi­tions pour rendre des devoirs en ligne.

Les chiffres sont alar­mants : on compte près d’une personne sur deux en Belgique touchée par ces diffi­cul­tés numé­riques1.

© Arun Kuchibhotla

Dans un contexte où l’accès aux services en présence s’amenuise, le tout au numé­rique signi­fie une aggra­va­tion majeure du non-recours aux droits. Combien de personnes nous appellent via le 1718 Urgence Sociale pour nous témoi­gner de leur épui­se­ment dans leurs démarches rendues impos­sibles quand il s’agit d’un formu­laire de contact en ligne pour parta­ger un long récit de vie semée d’embûches ! En plus de la connexion, de l’équipement et des compé­tences, il y a la forme du lien. Quand le contact humain est indis­pen­sable pour se faire aider ou simple­ment acti­ver un droit, le numé­rique devient un mur insurmontable.

Les services de toute nature ferment varia­ble­ment leurs guichets et ce depuis de nombreuses années. À cela, se sont ajou­tées des ruptures profondes de liens lors des confi­ne­ments avec des retards dans les prises en charge de toute une série de besoins de la popu­la­tion. Ces ruptures n’ont pas été « répa­rées » alors que d’autres surgissent. Non seule­ment le retard est diffi­cile à rattra­per mais on connait aussi la cascade des consé­quences qui s'ensuit sur la réalité des gens : un revenu ou une aide qui manque, et c’est toute une série d’autres besoins qui en pâtit avec un effet boule de neige. Une prime non reçue, c’est une facture non payée avec des inté­rêts de retard et in fine d’autres frais qui ne peuvent être financés.

S’ajoute aussi la charge des services sociaux qui tentent de pallier l’appauvrissement massif de la popu­la­tion face au coût de la vie (notam­ment les prix de l’énergie et de l’alimentation ajou­tés à une crise du loge­ment plus grave que jamais…).

Et cerise empoi­son­née sur le gâteau : l’organisation du télé­tra­vail entraîne un dysfonc­tion­ne­ment struc­tu­rel au niveau des prises en charge. En effet, les perma­nences plus maigres sont vite dépassées.

C’est donc dans ce contexte que s’ajoute le tout au numé­rique comme solu­tion patro­nale et orga­ni­sa­tion­nelle des équipes sensées être en contact avec une popu­la­tion qui souffre de plus en plus.

La numé­ri­sa­tion sans contre­par­tie humaine est le coupe­ret final, un peu une guillo­tine sociale où l’organisation de la numé­ri­sa­tion signe la fin de l’accès aux droits.

(…) On compte près d’une personne sur deux en Belgique touchée par ces diffi­cul­tés numériques.

Combien de personnes s’épuisent à remplir un formu­laire pour lequel elles ont besoin d’un coup de pouce pour son remplis­sage, d’autres qui ne peuvent pas télé­char­ger le docu­ment demandé, d’autres encore sont moins à l’aise avec l’écrit sans parler de toutes les personnes qui n’ont pas de connexion ou d’équipement… Alors que le guichet, avec un être humain en face à qui on peut poser des ques­tions, est la solu­tion toute évidente pour dépas­ser les diffi­cul­tés quelles qu’elles soient pour faire une demande d’aide.

Les demandes à partir des personnes appau­vries déjà dans le trop peu de tout seront de l’ordre de la survie mais les seniors, les personnes isolées, les habi­tants des zones rurales dites « blanches » sans connexion, les personnes porteuses d’un handi­cap, les jeunes notam­ment pour leurs travaux scolaires sont aussi forte­ment impactés.

De nombreux témoi­gnages de personnes font état d’épuisement et d’impossibilité d’avoir un droit jusqu’à ce qu’un service, une asso­cia­tion, un être humain ouvre une porte et prenne le temps de l’accompagnement.

Si la numé­ri­sa­tion est inévi­table, elle doit être couplée d’un accès garanti, au sein des services, à du person­nel en présence pour répondre aux diverses demandes. Il en va de l’effectivité des droits.


  1. Inclu­sion Numé­rique : Les Services Numé­riques Essen­tiels profi­tables à toutes les personnes ? Fonda­tion Roi Baudouin, Novembre 2021.
< Retour au sommaire