• Linda Doria
    Linda Doria
    enseignante d’histoire de l’art et de morale dans le secondaire et présidente de l’association NumEthic

Pour un numérique éthique à l’école

Qu’entend-on par numé­rique éthique ? Un numé­rique respec­tueux de l’intégrité intel­lec­tuelle, morale, psychique de tout un chacun en parti­cu­lier l’élève ; un numé­rique sobre et respon­sable qui se soucie des ques­tions envi­ron­ne­men­tales, démo­cra­tiques, citoyennes, humaines…


Jacques Ellul1 disait que la tech­nique mène le monde bien plus que la poli­tique et l’économie. En effet, la tech­no­lo­gie n’est pas neutre, c’est tout le contraire d’ailleurs. Il ne faut pas perdre cela de vue.

L’école devrait se préoc­cu­per de sa souve­rai­neté numé­rique. Cette notion complexe méri­te­rait que nous lui consa­crions tout un article, mais pour faire bref disons que l’école doit être, et rester, apte à maîtri­ser les tech­no­lo­gies qu’elle emploie (et qu’elle donne à utili­ser à son person­nel et à ses élèves) d’un point de vue écono­mique, social et tech­no­lo­gique… Ce qui est loin d’être le cas lorsque, par exemple, les élèves d’une école sont priés d’utiliser un certain type de logi­ciel proprié­taire ou d’utiliser un certain type de service en ligne commer­cial pour stocker leurs devoirs et travaux.

Aussi, en choi­sis­sant d’utiliser exclu­si­ve­ment des outils émanant des géants du numé­rique, l’école favo­rise une forme de fidé­li­sa­tion forcée qui induit une dépen­dance des consom­ma­teurs vis-à-vis de certains services et la consom­ma­tion passive des TIC sans remise en ques­tion possible. Elle contri­bue à l’enrichissement de socié­tés mono­po­lis­tiques qui pratiquent l’évasion fiscale et elle renonce à la non-gouver­nan­ce/­maî­trise de ses outils, de ses ressources et de ses données.

L’école devrait plutôt mettre les élèves en capa­cité d’agir dans la société en les rendant aptes à prendre en main les outils les plus éman­ci­pa­teurs et les plus congruents par rapport à leurs valeurs et besoins. Il s’agit de privi­lé­gier la diver­sité de ces outils et la créa­ti­vité dans leurs usages ainsi que la posture de producteur/contributeur à celle d’utilisateur/consommateur. Elle devrait permettre de déve­lop­per les apti­tudes et les postures permet­tant à tout un chacun de contri­buer au déve­lop­pe­ment des outils numé­riques, à leur ques­tion­ne­ment et ainsi rendre capable d’exercer le discer­ne­ment technologique.

Enfin, l’école pour être cohé­rente avec elle-même devrait choi­sir des outils qui vont dans le sens des missions qu’elle se donne. Ainsi, si elle souhaite « prépa­rer tous les élèves à être des citoyens respon­sables, capables de contri­buer au déve­lop­pe­ment d’une société démo­cra­tique, soli­daire, plura­liste et ouverte aux autres cultures » et si elle veut « assu­rer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale 2 », elle se doit d’être atten­tive à ces ques­tions et de mettre en œuvre des solu­tions pour employer un numé­rique éthique et éduquer au numérique.


  1. 1912–1994. Histo­rien du droit, socio­logue et théo­lo­gien fran­çais surtout connu comme penseur du phéno­mène technique.
  2. Les objec­tifs géné­raux de l’enseignement fonda­men­tal et de l’enseignement secon­daire du décret Missions.
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