• Pascal Minotte
    Pascal Minotte
    psychothérapeute et co-directeur du Centre de Référence en Santé Mentale (CRéSaM)
Propos recueillis par Isabelle Leplat

L’éducation pour un usage réfléchi des médias sociaux

Depuis 2008, Pascal Minotte travaille sur les usages, problé­ma­tiques (les addic­tions, le cyber harcè­le­ment, l'image de soi, etc.) ou non, des réseaux sociaux et des jeux vidéo. Il nous livre ici quelques réflexions issues de ses observations.


Salut & Frater­nité : Quelles sont les consé­quences de l’utilisation des réseaux sociaux sur la construc­tion d’une image de soi ?

Pascal Minotte : Avant tout, il est néces­saire d’envisager le contexte socio-tech­nique. Les nouveau­tés sociales, tech­no­lo­giques, cultu­relles ont toujours engen­dré un vent de panique et l’idée que leurs conte­nus pouvaient perver­tir les indi­vi­dus. Tel a été le cas avec la litté­ra­ture, le cinéma, Inter­net ; actuel­le­ment, avec Tik Tok et Insta­gram. De plus, il est parfois diffi­cile de prendre du recul sur ces ques­tions alors que nous évoluons dans cette culture médiatique.

Certes, la ques­tion de l'identité inter­pelle en ce qui concerne le numé­rique et parti­cu­liè­re­ment les médias sociaux. Ils offrent la possi­bi­lité à l'adolescent de produire un discours sur lui-même éman­cipé de sa famille et des attentes paren­tales. Celui-ci devient genré et sexua­lisé : être adoles­cent, c'est deve­nir adulte et déve­lop­per une sexua­lité adulte. C’est tout à fait normal. De plus, un des moteurs fort des médias sociaux réside dans ce que Serge Tisse­ron appelle l'« exti­mité », c’est-à-dire le fait de dévoi­ler des frag­ments intimes de sa vie qui, dans un passé récent, rele­vaient de la sphère privée, comme des photos de vacances, par exemple. Les adultes le font aussi et s'inquiètent des pratiques d'extimité de leurs adoles­cents, mais beau­coup moins des leurs.

Il faut pouvoir entendre que cette géné­ra­tion se sent moins concer­née et moins inquiète par le fait que des données privées circulent sur Internet.

S&F : à quels besoins corres­pond cette exti­mité ? Et quelles peuvent être les dérives potentielles ?

P.M. : Le moteur central du partage d’informations sur les réseaux sociaux est la vali­da­tion. La recherche de l'approbation des autres est parfai­te­ment natu­relle. Chez les adultes, l'investissement des médias sociaux corres­pond souvent à des phases et change selon les événe­ments person­nels : une sépa­ra­tion, un divorce, une mater­nité,… Il ne faut pas géné­ra­li­ser, mais les usages problé­ma­tiques existent effec­ti­ve­ment chez des personnes qui, dans leur vie, sont déjà fragi­li­sées et nour­rissent des attentes disproportionnées.

Nuan­çons cepen­dant : la construc­tion de l’identité est conti­nue chez chacune et chacun, tout au long de notre vie. Nous nous repo­si­tion­nons conti­nuel­le­ment et nous recher­chons l'attention des autres. Les adoles­cents le font peut-être avec davan­tage d’intensité.

En ce qui concerne les dérives, les adoles­cents et adultes semblent bien infor­més. Le problème des photos compro­met­tantes est le plus fréquem­ment rencon­tré dans les écoles, et peut débou­cher sur un harcè­le­ment, qui concerne majo­ri­tai­re­ment des femmes, des jeunes filles ou des personnes qui ressortent un peu du lot notam­ment par des carac­té­ris­tiques physiques. L’enjeu, à mon sens, est de déve­lop­per l’empathie envers les victimes et de décons­truire les stéréo­types sexistes grâce à un travail éduca­tif. Les situa­tions qui tournent au harcè­le­ment sont toute­fois mino­ri­taires par rapport à l’abondance de photos qui circulent chez les adoles­cents et les adultes.

© Rodion Kutsaev – Unsplash​.com

S&F : La Décla­ra­tion univer­selle des droits de l’homme consacre la vie privée et des textes de loi (droit à l’oubli, RGPD, etc.) existent pour la proté­ger. D'autres balises sont-elles nécessaires ?

P.M. : La notion de vie privée bouge avec le temps. Il faut pouvoir entendre que cette géné­ra­tion se sent moins concer­née et moins inquiète par le fait que des données privées circulent sur Inter­net. Ce n'est peut-être pas un enjeu central pour elle. Il est égale­ment néces­saire de rela­ti­vi­ser l’idée qu’une photo postée sur Inter­net est suscep­tible de ressur­gir 10 ans plus tard. La grosse majo­rité d'entre elles dispa­raît dans la masse des données et ne réap­pa­raî­tra jamais, sauf excep­tion. Rien n'est garanti.

Les outils légis­la­tifs sont effec­ti­ve­ment impor­tants. Le deuxième instru­ment, tout aussi fonda­men­tal voire plus, c'est l'éducation aux médias. Elle doit, à mon sens, trou­ver sa place à l’école, car cette dernière touche tous les enfants et adoles­cents. En ce qui me concerne, je trou­ve­rais inté­res­sant qu’un cours lui soit dédié, plutôt qu’une sensi­bi­li­sa­tion trans­ver­sale qui, me semble-t-il, a tendance à diluer le propos. Cela dit, on peut expli­quer comment para­mé­trer un compte et proté­ger des données en ligne, ce n'est pas pour autant que tous les adoles­cents le font, tout simple­ment parce que leurs enjeux sont diffé­rents des nôtres.

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