• Eric Blanchart
    Eric Blanchart
    chargé de mission pour l’ensemble de l’animation du dispositif Espace Public Numérique de Wallonie
Propos recueillis par Charlotte Collot

Pour une une valorisation des Espaces Publics numériques

Un Espace Public Numé­rique (EPN) est une struc­ture de proxi­mité ouverte à toutes et tous, équi­pée de maté­riel infor­ma­tique et connec­tée à Inter­net. Un EPN offre de l'accès et de l'apprentissage à l'informatique, à Inter­net et à la culture numé­rique sous une forme convi­viale, coopé­ra­tive et respon­sable. Éric Blan­chart coor­donne l’ensemble de l’animation du dispo­si­tif en Wallonie.


Salut & Frater­nité : Quels services les EPN proposent-ils au public ?

Eric Blan­chart : Un EPN est là pour accom­pa­gner le plus large public possible dans l’appropriation du numé­rique, matière qui aujourd’hui touche de nombreux domaines du quoti­dien (loge­ment, emploi, culture, éner­gie, etc). Le numé­rique étant évolu­tif, nous sommes dans un contexte de forma­tion perma­nente, d’accompagnement sur le long terme. Concrè­te­ment, les EPN proposent un accès libre à une machine connec­tée avec la possi­bi­lité de faire appel à un anima­teur multi­mé­dia ; des forma­tions de groupes ou des accom­pa­gne­ments indi­vi­duels ; et des ateliers de sensi­bi­li­sa­tion et de diffu­sion de poli­tiques numé­riques, par exemple : la banque digi­tale, la nouvelle offre digi­tale du Forem, le service Bpost qui se digi­ta­lise, etc.

S&F : Derrière ces diffé­rents services, quel est l’objectif pour­suivi par les EPN ?

E.B. : Les EPN sont là pour réduire ce qu’on appelle la frac­ture numé­rique en favo­ri­sant l’inclusion numé­rique de toutes et tous. Mais il n’y a pas une seule inclu­sion numé­rique car tout le monde a des besoins différents.

S&F : La prise en charge de cette frac­ture numé­rique est-elle suffi­sante en Belgique ?

E.B. : Cela fait plus de 20 ans qu’on parle de la frac­ture numé­rique en Belgique et en Wallo­nie. Non seule­ment ce n’est pas du tout résolu, mais ça s’amplifie ! Malgré une prise de conscience impor­tante ces cinq dernières années, les chiffres sont très inquié­tants : un adulte sur trois n’est pas à l’aise dans l’environnement numé­rique. Nous, personnes du métier, nous esti­mons qu’il y a deux tiers de la popu­la­tion qui ne se sent pas à l’aise, qui n’a pas confiance, qui ne comprend pas les enjeux ou qui ne fait pas les bons gestes, et un tiers qui arrive à s’en sortir. Dans les deux tiers de ceux qui ne sentent pas à l’aise, il y a plus ou moins 15 % de personnes qui sont tota­le­ment à l’écart, ce qu’on appelle le public éloi­gné d’Internet.

La crise sani­taire a jeté un effet loupe sur les dispa­ri­tés et les inéga­li­tés en matière d’accès au numé­rique et des compé­tences liées. Nous, acteurs de terrain, avons profité de cette prise de conscience pour faire des recom­man­da­tions auprès des poli­tiques pour dimi­nuer ce phéno­mène : multi­plier les lieux d’accompagnement et points d’accès et les homo­gé­néi­ser. À l’heure actuelle, les EPN se situent parfois dans un CPAS ou dans une biblio­thèque. Ces lieux n’ont pas une image « neutre ». Les gens peuvent ne pas s’y sentir à leur place. Il faudrait une multi­pli­ca­tion d’espaces neutres et une commu­ni­ca­tion régio­nale voire natio­nale sur ce que sont ces lieux. Au-delà des EPN, nous voulons aussi valo­ri­ser le rôle de l’aidant numé­rique en tant que personne de première ligne qui donne confiance à ce public éloi­gné pour ensuite l’orienter vers un EPN ou une autre structure.

Aujourd’hui, le numé­rique est régi par une mino­rité favo­ri­sée au niveau écono­mique et éduca­tif. Ils décident de ce que doit être la tech­no­lo­gie pour une majo­rité de gens. Ils ne sont pas connec­tés à la réalité. C’est le problème majeur.

Les EPN sont là pour réduire ce qu’on appelle la frac­ture numé­rique en favo­ri­sant l’inclusion numé­rique de toutes et tous. (…)

S&F : Quelles sont les réali­tés, les diffi­cul­tés rencon­trées par les EPN dans leurs missions ?

E.B. : La prin­ci­pale diffi­culté rencon­trée par les EPN, c’est la subsi­dia­tion et donc le finan­ce­ment. Aujourd’hui le réseau des EPN, c’est 165 espaces qui ne sont pas finan­cés struc­tu­rel­le­ment. Ils sont tous finan­cés sur fonds propres par la struc­ture qui les porte (la commune, la province, un CPAS ou une asbl). La deuxième diffi­culté, c’est le manque de visi­bi­lité. Malgré le besoin évident de la popu­la­tion d’être accom­pa­gnée dans le domaine du numé­rique, 80 % des gens ne savent pas ce qu’est un EPN. La troi­sième diffi­culté réside dans l’étendue et la trans­ver­sa­lité du domaine numé­rique. Et parce qu’ils ne sont pas subsi­diés, les EPN n’ouvrent qu’à mi-temps (entre 16 et 20 h par semaine) et ont beau­coup de mal à répondre à toutes les demandes émanant de publics très diffé­ren­ciés. Enfin, une autre diffi­culté est la non-recon­nais­sance du métier d’animateur d’EPN et des compé­tences requises.

Nous sommes souvent surpris de voir à quel point le monde poli­tique est décon­necté de l’écosystème des acteurs de terrain. Faisant partie de la popu­la­tion favo­ri­sée, il y a sans doute un manque de prise de conscience et d’empathie. Sensi­bi­li­sons les élus !


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